Caryl Férey aime situer ses intrigues dans des environnements marqués par les stigmates d'un passé de violence. Il s'agit souvent de pays dont l'histoire récente a vu une partie de la population se dresser contre l'autre, une histoire trop récente pour que les sentiments de haine et les désirs de vengeance aient eu le temps de s'estomper.
Après la Nouvelle-Zélande (dans Haka et Utu) et l'Afrique du Sud (dans Zulu), il nous emmène avec son dernier roman, "Mapuche", en Argentine, où les plaies infligées pendant la dictature militaire instaurée après le coup d'état de 1976 n'ont pas encore cicatrisé.
Dans le cadre du "Processus de réorganisation nationale" alors mis en place, une répression terrible avait été menée à l'encontre des sympathisants de gauche, des artistes, des intellectuels, et de leurs familles, alors considérés comme des terroristes.
Tortures, internements abusifs (entre 1976 et 1983, on estime à 30000 le nombre de personnes disparues suite à leur enlèvement par les sbires du pouvoir), exécutions et censure, telles furent les armes utilisées par ce régime sanglant pour couper court à toute contestation.
L'un des personnages que Caryl Férey met en scène dans "Mapuche" fut l'une de ses victimes. Rubén, fils du poète Daniel Calderón, a connu les geôles de la dictature à l'âge de quinze ans. Libéré après des semaines de sévices, il a laissé derrière lui son père et sa sœur cadette, et ne s'en est jamais remis.
Aujourd'hui cinquantenaire, il vit seul, rongé par ses démons, voué à un seul but : obtenir justice et réparation pour les martyres de la dictature et leurs familles.
Jana représente quant à elle un autre épisode peu glorieux de l'histoire argentine... Cette jeune sculptrice d'origine indienne est issue de la tribu des Mapuche, peuple qui fut dépossédé de ses terres et dont des dizaines de milliers de membres furent sauvagement massacrés à la fin du XIXème siècle par les colons espagnols.
Un enchainement de circonstances liées au meurtre d'un travesti et à la disparition de la fille d'un riche industriel portègne va entraîner la rencontre de ces deux écorchés vifs...
Il fallait s'y attendre, et ceux qui ont déjà "pratiqué" Caryl Férey ne pouvaient que le prévoir : "Mapuche" est un récit empreint de noirceur et de violence. Ceci dit, cet aspect du roman, qui trouve sa justification dans un contexte historique et social générateur de haine et de souffrance, n'occulte pas les qualités du roman de Caryl Férey, il forme simplement avec le reste (l'intrigue policière, la relation qui se noue entre Rubén et Jana...) un ensemble parfaitement homogène, au rythme admirablement mené.
J'émettrai un seul petit bémol... J'ai eu à certains moments -certes furtifs- l'impression que le récit tournait à la démonstration comme si, à trop vouloir ancrer son histoire dans son contexte, l'auteur en rendait ses personnages et son intrigue prisonniers. Du coup, ils en acquièrent parfois un aspect un peu caricatural, l'auteur s'en servant comme éléments représentatifs du dit contexte, aux dépens de leur propre individualité.
Mais cela ne doit surtout pas vous empêcher de lire "Mapuche", qui est avant tout un excellent roman...
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