[Istanbul était un conte | Mario Levi, Ferda Fidan (Traducteur)]
Je relis l'excellente note d'Ingannmic (oui, excellente, je maintiens envers et contre l'auteure sus-nommée...) et ma réponse à cette note qui, tout en étant factuellement exacte, était spécifiquement sans rapport avec l'oeuvre. (Je me console en précisant que Mario Levi a aussi baigné dans la nostalgie du milieu minoritaire dans d'autres écrits, particulièrement dans des nouvelles que j'ai vues de près). Mais il n'y a pas de nostalgie du milieu minoritaire dans cet oeuvre, et d'ailleurs les descriptions de lieux (hormis quelques noms épisodiques de quartiers emblématiques - Sisli, Büyükada, Nisantasi - , quelques noms de cinémas historiques, un ou deux restaurants...) sont singulièrement absentes. Les descriptions ne sont que de personnages, de cette multitude incontrôlable, de leurs fragments de mémoire et surtout, oui par dessus tout, de leurs rêves. (Le mot "rêve" a une occurrence encore supérieure à "conte"). A présent, plus que la nostalgie, je m'arrêterais sur la mélancolie... Mais j'y reviendrai.
Entre la note d'Ingannmic et ma lecture du roman, j'ai eu l'occasion de rencontrer l'auteur. En Turquie, la parution de ce roman-fleuve lui a valu d'être souvent qualifié de "Proust de la littérature (turque) contemporaine". Il ne s'en défend pas, toute réserve de modestie mise à part, avouant que Proust est en absolu l'auteur qu'il préfère (Levi est francophone) et qu'il fréquente avec la plus grande assiduité. Comme autre (et à mon sens encore plus prégnante) source-paternité-archétype d'
Istanbul était un conte, il nous en a révélé un musical : le "taksim" forme de musique de cour instrumentale ottomane. J'ajoute qu'elle est homophonique et fondée sur des répétitions de mélodies, mais profondément altérées (jusqu'à en être quasi méconnaissables sauf pour les plus fins ouïs) par d'innombrables variations de modes, de rythmes, d'instruments, de tonalités, etc.
Qu'est-ce que je retiens de ces deux sources ? De Proust, à la fois le formidable accent introspectif sur la psychologie des personnages, et peut-être encore plus la particularité du questionnement sur la position du narrateur parmi eux. Et bien sûr, cela va sans dire, le questionnement sur le temps, la mémoire, la narration de la mémoire... Là se situe aussi le premier niveau ou la première apparition de la mélancolie.
Celle-ci est cependant clairement évidente pour peu qu'on connaisse le "taksim" ou en général la musique ottomane. Et dans cette succession infinie de récits (ces innombrables narrations des quelques cinquante personnages principaux), ne retrouve-t-on pas une répétition sans cesse renouvelée du thème mélancolique du temps/de la vie perdue, infiniment décliné en occasions manquées, déceptions irrémédiables, communication - ou devrais-je parler de communion ? - impossible, vérité insaisissable, ...
Il n'y a donc pas de nostalgie du milieu, certes. Pas au sens de la littérature levantine-minoritaire exportée dans la littérature turque par rapport à ce "hüzün" de Beyoglu qui est désormais un topos à l'instar de la "saudade" de Lisbonne. Pourtant, juste au moment de conclure, je me demande si, à un second degré, c'est-à-dire sur le plan de la psychologie de l'oeuvre et de sa raison d'être - si tant est que l'on puisse se permettre de la déceler, de façon sauvage - il n'y aurait au contraire que de cela...
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