Ce livre a été écrit par un journaliste, Philip Yancey, dont j'apprécie particulièrement la sensibilité, et un médecin, chirurgien spécialiste de la main, qui pendant des années a travaillé à redonner du sens, par ses soins, à la vie de personnes malades de la lèpre. Le journaliste n'est là que pour aider le médecin à rendre ses idées plus claires.
Brand a observé que si les lépreux perdaient leurs membres, c'est parce qu'ils ne ressentaient plus la douleur. Par exemple, lorsque je me tords la cheville, je ne marche plus normalement, parce que j'ai mal. Le lépreux, qui a perdu sa sensibilité à la douleur, continue de marcher comme si de rien n'était. La douleur, qui est un mécanisme de protection, nous empêche d'empirer notre état. Le lépreux "tue" son corps sans savoir qu'il lui fait du mal. De ces constats, Brand développe une certaine idée de la douleur, de son rôle primordial dans notre vie quotidienne, et de la chance que nous avons de ressentir la douleur. Il montre aussi que nous avons tendance à focaliser sur la douleur, que l'on voudrait éliminer, plutôt que de nous intéresser à la véritable cause de la douleur (qui est pourtant ce sur quoi la douleur veut nous alerter). En même temps, Brand n'idéalise pas la douleur : il ne la confond pas avec la souffrance, et sait qu'il est des douleurs intolérables - notamment les douleurs chroniques.
En résumé, Brand part de ses observations et établit des parallèles intéressants entre le corps, ses réactions, et nos comportements dans la vie quotidienne, en société, et même dans les communautés de foi. Il en ressort une sorte de "théologie corporelle" (c'est de moi ça) très intéressante. Ce bouquin a beaucoup de mérite, et surtout celui de replacer une véritable théologie du corps au sein d'une culture chrétienne trop fortement influencée par la philosophie grecque (le corps - matière - d'un côté, l'esprit - immatière - de l'autre, l'autre étant supérieur à l'un, bien entendu...), et nous rappelle que la Bible tourne autour d'un fait incroyable : l'incarnation, qui est la matérialisation de Dieu dans un corps humain... Comment, ayant ça en tête, a-t-on pu passer à côté de la beauté du corps?
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