[Clara et la pénombre | José-Carlos Somoza, Marianne Millon (Traducteur)]
Parce qu'il y est question d'un futur proche (l'action de "Clara et la pénombre", écrit en 2000, se situe en 2006), où le corps humain peut être utilisé comme support d'une œuvre d'art, voire être transformé en objet artisanal, vous pensez vous lancer dans un récit d'anticipation.
Puis, parce qu'il y est question d'un mystérieux psychopathe qui mutile et détruit certaines de ces "toiles humaines" les plus en vogue, vous croyez finalement vous trouver face à une intrigue policière.
A moins qu'il ne s'agisse, comme vous l'imaginez ensuite, d'une réflexion sur le sens et les limites de l'art dans un monde où il vaut surtout par sa valeur marchande... ou d'un questionnement sur la place que peut occuper l'homme dans une société de plus en plus consumériste, où tout est éphémère, où les faiblesses du cœur et de l'âme sont considérées comme des tares... ou d'une allégorie sur des thèmes plus éternels, tels que la quête de l'immortalité...
En réalité "Clara et la pénombre" est un peu tout cela à la fois. Roman d'une incontestable richesse, il aborde de nombreuses thématiques en profondeur sans assener de certitudes, et mélange les genres avec une parfaite homogénéité : les problématiques sociétales s'intègrent naturellement à l'histoire, dont elles sont même indissociables, et l'aspect "enquête policière" apporte à l'intrigue rythme et suspense sans que cela porte atteinte à la consistance de l'ensemble.
Ce monde que dépeint José Carlos Somoza, et qui fait froid dans dos, n'est, ainsi qu'on le devine aisément, qu'une légère caricature -et encore !- du nôtre. Cette dictature de l'esthétisme, cette impunité qui autorise tout, à condition que ce soit fait avec style, cette priorité accordée à la valeur pécuniaire des êtres -qui, une fois transformés en toiles, ne sont plus considérés comme tels-, aux dépens de la considération de l'individu, ne sont pas tant du domaine de la science-fiction que de celui d'une réalité que l'auteur dépeint sous une forme métaphorique.
De la même manière, en évoquant la destruction sauvage, sanglante, de ces corps qui de leur vivant, servaient la perfection artistique, il met l'accent sur l'opposition entre le caractère factice, fugitif du paraître, et la réalité de la nature organique -et donc intérieure?- de l'homme, comme pour rappeler que la valeur d'un individu est EN lui, et non SUR lui.
"Clara et la pénombre" est, vous l'aurez compris, un récit passionnant, foisonnant, intelligent ... que vous dire de plus ?
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