« … L'auteur ne prétend pas faire un travail d'islamologue. Ce livre est un livre de journaliste... » Je le classerais pourtant parmi les livres d'érudition, c'est-à-dire parmi les livres que tous n'auront pas la patience de lire jusqu'au bout avec la concentration qu'il mérite.
Ce livre décrit l'histoire d'une confrérie née en Egypte en 1928 (et dont on a pu entendre parler encore récemment lorsque les journalistes remarquaient qu'elle ne semblait pas avoir joué un rôle déterminant dans la « révolution » égyptienne). Son fondateur, Hassan Al-Banna, se proposait de réislamiser « par le bas » (par l'éducation et les œuvres sociales) des compatriotes qui, selon lui, se sont éloignés de la religion, en particulier par l'imitation aveugle des Européens. A sa mort en 1949, certains estiment à un ou deux millions le nombre de sympathisants des Frères en Egypte. Par ailleurs : « … Dès les premières années du mouvement, son idéologie s'est propagée par l'intermédiaire d'étudiants étrangers venus compléter leur formation à Al Azhar ou dans une autre université cairote... »
On imagine bien dans ces conditions que des divergences soient apparues. Hassan Al-Banna montrait des égards envers les autorités religieuses et politiques, mais dès mars 1948 un jeune étudiant membre des Frères assassinera un juge qui avait prononcé des peines très sévères contre deux Frères. « … D'autres troubles suivent... »
Un autre Frère, Sayyid Qutb, développera en prison l'idée que : « … les sociétés et les Etats musulmans sont sortis de l'islam. Parce qu'ils n'en appliquent plus les principes, ils sont retournés à l'état ... d'ignorance, un terme qui n'était utilisé jusqu'ici que pour désigner l'Arabie d'avant le prophète Muhammed... Ce faisant, l'auteur excommunie en quelque sorte... tous les mauvais musulmans … Il considère que le jihad fait partie des piliers de l'islam, l'ajoutant ainsi aux cinq préceptes traditionnels... » Il est juste de dire que : « … Les dirigeants des Frères ne restent pas inactifs, face à cette pensée qu'ils considèrent comme déviante et dangereuse... »
Aujourd'hui, « … l'islamologue Olivier Roy considère que la mouvance islamiste peut s'engager dans deux voies possibles, après les révolutions arabes de 2011. D'une part « la voie turque, avec le passage à l'équivalent d'une démocratie chrétienne, très conservatrice, mais qui joue le jeu du parlementarisme » ; d'autre part « une sorte d'Opus Dei », c'est-à-dire un mouvement qui se désengage de l'enjeu politique, mais met l'accent sur la norme religieuse dans « une fuite vers la morale, les mœurs, la vertu ». Les deux évolutions n'étant pas exclusives l'une de l'autre... »
Mais j'ajouterai cette remarque de l'auteur (dès la page 69) faite à la suite d'une brève description des rues du Caire et qui me semble très éclairante : « … On peut dire que l'islamisme a d'ores et déjà gagné la partie dans la plupart des sociétés musulmanes. S'il n'est pas encore parvenu au pouvoir, et même s'il n'y parvient jamais, il a réussi à imposer en profondeur ses codes et ses normes aux modes de vie. Allons plus loin : c'est peut-être précisément parce que l'islamisme n'a jamais été durablement compromis par l'exercice du pouvoir, parce qu'il a été sans cesse réprimé, « éradiqué » qu'il a gagné la partie... »

----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur Wikipedia]