L'auteure, une jeune (1974) Romaine de parents somaliens réfugiés en Italie suite au coup d'état de Siad Barre, est une journaliste-écrivain très engagée, ayant déjà publié deux romans et plusieurs recueils de nouvelles, et sans doute la plus importante et originale de la littérature migrante italienne ("métissée" devrait-on dire s'agissant de seconde génération).
Ce roman est construit dans l'alternance de cinq voix : celles de deux jeunes femmes noires vivant à Rome, demi-soeurs à leur insu se rencontrant en Tunisie où elles suivent un cours d'été d'arabe - la langue des origines ; celles des mères de chacune, l'une somalienne meurtrie par l'exil et par la mystérieuse disparition de son époux, l'autre argentine meurtrie par les séquelles de la dictature de son pays, dans les années 70, avec sa kyrielle de "desaparecidos" ; enfin celle du fameux père absent, dont on devine assez vite qu'il est commun, mais non la raison ni le lieu de sa fuite, sauf qu'elle est inscrite dans la répétition de la fuite de son propre père, meurtri par le colonialisme italien...
Si les deux jeunes femmes sont nouées dans les interrogations de leur origine, dans le manque du père et dans l'incommunicabilité avec la mère souffrante, elles sont pourtant ancrées dans le présent ; alors que les voix des personnages parentaux représentent une ultime et extrême tentative de leur expliquer leur passé, de renouer avec cette progéniture sacrifiée, de donner du sens à une douleur venue d'ailleurs et souvent de temps lointains. L'Histoire est ici un drame incarné, qu'il s'agisse de la violence coloniale, ou de celle de la dictature militaire, ou de celle du déracinement ; elle se tisse autour de trois pays - la Somalie, l'Argentine, l'Italie - dont les liens sont multiples et complexes.
Le style est foisonnant, les langages des personnages divers, mais la complexité et les préoccupations sont celles de cette Babylone du troisième millénaire.
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