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[Le cafard | Rawi Hage, Sophie Voillot (Traducteur)]
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apo



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Posté: Dim 29 Mai 2011 20:43
MessageSujet du message: [Le cafard | Rawi Hage, Sophie Voillot (Traducteur)]
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[Merci à Ingannmic, dont la note (sinon le jugement) a éveillé ma curiosité ; merci à mon épouse qui, à l'insu de cela, a deviné que ce livre me parlerait et me l'a offert]

Je voudrais commencer, comme Ingannmic, par la métaphore éponyme. Je trouve dans le cafard une articulation à trois niveaux, dont l'alternance anime l'ensemble du roman.
1. La "métamorphose" en cafard (et ce mot, dès le tout début du roman, indique évidemment que la référence kafkaïenne est entièrement assumée) c'est l'enfance du narrateur, son principal "noeud" psychanalytique par rapport à ses relations (doublement culpabilisantes) avec sa soeur :
"C'est ma soeur qui m'a métamorphosé. [...] Elle m'a dit : Viens. Viens jouer. Et elle a relevé sa jupe, elle a posé l'arrière de ma tête entre ses jambes, elle a levé ses talons en l'air et elle s'est mise à agiter lentement ses jambes au-dessus de moi. Elle a dit : Regarde, ouvre les yeux, et elle m'a touché. Ça, c'est ton visage, ici c'est tes dents, et mes jambes sont tes longues, longues moustaches. On a ri, on a rampé sous les draps et on s'est mutuellement mordillé le visage. Elle a dit : Bloquons la lumière. Bordons l'édredon sous le matelas, bien serré pour empêcher la lumière d'entrer. Jouons sous terre." (p. 14)
Le fil rouge de l'évitement de la lumière - assez déconcertant dans la littérature migrante, sachant le rôle nostalgique du "soleil du pays", et surtout de l'obsession du climat glacial de Montréal qui est aussi un thème récurrent ; le système de métaphores du sous-sol et de la disparition dans les égouts (comme forme de fuite dans la régression) ; ainsi que d'autres détails des relations intimes/sexuelles du narrateur tout au long de la narration trouvent ici leur explication.
2. La condition de cafard du narrateur, c'est aussi, logiquement et de façon rationalisée, son statut social aussi bien pré- que post-migratoire. Sa capacité de s'introduire subrepticement dans les maisons (à fin de larcin ou non), de se faufiler par la tuyauterie (métaphorique naturellement), son parasitisme social, outre toutes les connotations habituelles de malpropreté, de dégoût, d'abjection que Kafka avait déjà employées, sont inclus dans cette image de soi. Une image, comme le note bien Ingannmic, parfois froide et détachée, parfois pleine d'auto-commisération, et encore, à trois reprises, hallucinatoire : "[...] l'énorme cafard albinos à rayures [...] dressé sur deux de ses pattes." (p. 240)
3. Dans un discours politico-social très haineux, indigné et révolté contre le pays mal accueillant et contre le monde des nantis tout entier, enfin, les cafards, dans une revanche millénariste, représentent les miséreux, les laissé-pour-compte : "[...] aucune barricade ne tiendra devant le puissant flot de semence des affamés, des opprimés. Je lui ai promis qu'un jour, tout ce qu'il servirait sur ses sièges de soie, ce serait des blattes géantes." (p. 43-44) Bien que le monde précarisé et prolétarisé des immigrés soit exploré avec une certaine proximité (ce qui se retrouve souvent précisément dans la "littérature de migration") et parfois identifié dans cette troisième catégorie du "cafard", les immigrés ne sont pas tous des congénères du narrateur, qui dénonce comme hypocrite la dénégation du leur vrai statut (chez "le professeur"), comme poltronne voire mercantile une attitude socialement trop intégrée (Réza, le patron du restaurant iranien, peut-être Majid aussi). Dans cette perspective, l'anti-cafard est pour le narrateur un objet de mépris et de "lutte de classe" (Sylvie et ses copains, la correspondante du professeur, dans un certain sens la psychothérapeute Geneviève aussi) à laquelle il se tient sans défaillir.

C'est sans doute cette construction tripartite qui démarque cette oeuvre du simple roman de "littérature de migration" ; sa complexité sur le plan symbolique outre que narratif (admirables dialogues de sourds avec la psychothérapeute), sa vérité loin des stéréotypes faciles et des clichés du genre, sa profondeur rendue principalement par les menus détails - et aussi par une prose contemporaine efficace -, sa trame tout simplement me l'ont faite grandement apprécier ; je suis à l'évidence beaucoup plus près du coup de coeur que l'amie Ingannmic. C'est un roman que j'ai une forte envie de faire lire autour de moi et de relire un jour.

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