Ancien flic viré pour avoir sciemment écrasé son poing sur le visage d'un politicien, Jack Taylor traîne son mal de vivre dans les pubs des quartiers populaires de Galway. Entre deux gorgées de cafés noyés au brandy et une rasade de Guinness, il laisse vaguement entendre aux poivrots de son entourage qu'il pourrait être un bon détective privé. Ann Henderson, qui ne croit pas au suicide de sa fille de seize ans, vient le trouver au comptoir qui lui sert de bureau et lui demande d’enquêter. « On l'a noyée » sont les mots qu'elle a entendus au téléphone... de quoi ne plus dormir. Surtout si d'autres gamines ont subi le même sort. Surtout si la police classe tous les dossiers un par un...
Jack Taylor est désabusé et alcoolique. En chute libre. Du style à cogner avant de penser et à s'imaginer qu'il peut se confronter à des adversaires plus costauds que lui. En plus, il ne choisit pas très bien ses amis, a une morale contestable et un sens de la justice expéditive. Bref, un énième personnage de pseudo-flic pas net et imbibé, qui trimbale sa déprime me direz-vous... Certes. Oui. Mais pas que. Car l'ex-flic, outre d'alcool, se nourrit aussi de littérature, surtout de polars, mais cite aussi Henry James ou Charles Dickens...
« J'étais devenu un bibliophile dans le vrai sens du terme. Je n'aimais pas seulement lire, j'aimais les livres eux-mêmes. J'avais appris à en apprécier l'odeur, la reliure, l'impression, le contact des ouvrages entre mes mains. » (p. 149)
Le roman est donc parsemé de citations littéraires et de bribes de poèmes (et aussi de références musicales, parfois obscures) qui, toutes, célèbrent la noirceur de l'existence. Et j'avoue avoir eu un faible pour ce narrateur loser dont le seul recours, dans la vie, sont les livres.
Quant à l'enquête, elle progresse sans Jack qui, embrumé par les vapeurs d'alcool et les black-out, se laisse entraîner par les évènements et ne maîtrise rien. Jack ne joue qu'un rôle assez passif, tout se résolvant quasiment sans lui.
Et finalement, ce n'est pas tant l'intrigue policière qui retient le lecteur que le personnage de Jack, le contexte (cette Irlande des bas fonds, crasseuse, miséreuse, violente et déprimante, à l'opposé des clichés touristiques) et surtout le style brut de Ken Bruen : les chapitres sont courts, les phrases sont sèches et hachées, le langage cru et direct, les dialogues vifs et percutants, le propos désespéré, mais relevé (d'un peu) d'humour, noir bien sûr. Et, sous la noirceur ambiante, un (mince) éclat d'humanité. Juste de quoi (peut-être) ne pas se foutre en l'air ?
le cri du lézard