Les phares intriguent et fascinent tant ils apparaissent incongrus, opiniâtrement dressés et lumineux quand la mer, le vent, la pluie et le tonnerre se conjuguent avec une force démentielle, ramenant l’homme à sa petitesse native. Le phare de South Stack au Pays de Galles est emblématique des lieux dantesques hantés par le vent et la plainte des morts. Sa position et son histoire ont inspiré le scénariste Didier Alcante et le dessinateur Matteo. Dans la nuit du 25 au 26 octobre 1859, le Royal Charter, trois-mâts reliant l’Angleterre à l’Australie en 60 jours, s’échoue sur un banc de sable au Pays de Galles, poussé par la tempête qui frappe les côtes britanniques et finit éventré au matin par une lame monstrueuse sous l’œil horrifié des riverains qui assistent impuissants à l’agonie des sinistrés. Sur les 450 hommes à bord, 39 seulement survécurent. Le bateau était inaccessible à seulement vingt-cinq mètres du rivage. Les mineurs britanniques de retour d’Australie avaient leurs chargements d’or accrochés à la ceinture. Le poids les entraîna irrémédiablement au fond de l’eau. Aujourd’hui encore, des plongeurs espèrent trouver des pépites ou des pièces d’or provenant de l’ancien naufrage.
Le récit raconté en bande dessinée s’ancre donc sur un contexte historique véridique mais prend des libertés. Le lecteur s’y perd un peu au début car plusieurs événements se produisent sans qu’il soit possible d’établir un lien entre. Une plongeuse aujourd’hui cherche en vain l’or englouti et trouve un ceinturon sur lequel est gravé au couteau un curieux message : « He killed them all… ». Retour en arrière, le 2 août 1859, en Australie où des mineurs se tuent à la tâche puis passage au sud de l’Angleterre, quelques jours plus tard, le 10 août 1859, lors d’une tempête où l’assistant du gardien du phare se fait broyer le poignet en tentant un sauvetage désespéré et la semaine suivante au Pays de Galles où le meurtre au couteau d’une femme a lieu. Amputé de la main, Jack Jones va quitter l’enfer (un phare en mer) pour rejoindre le paradis (un phare sur la terre ferme) mais il se retrouve au purgatoire (le phare est sur une île reliée par un pont suspendu à la terre) en compagnie d’un homme énigmatique, trouble, Henry Bowen, gardien en chef du phare, est un adepte du satanisme. L’histoire vire au fantastique avec la tempête qui se prépare et l’échouage programmé du trois-mâts, le Royal Charter. Bowen est un démon et tire toutes les ficelles en traçant un pentagramme avec le phare en son centre afin de « réaliser le sort du livre de Behemoth ».
On peine un peu à comprendre le pourquoi du comment mais le récit finit par former un tout, certes incohérent mais dont les parties se trouvent liées. Le dessin n’est pas toujours convaincant, plus proche de l’esquisse, notamment dans la restitution des expressions des visages. En revanche, la mise en couleur est réussie et les cadrages apportent de l’expressivité à l’ensemble. Même si le tout se lit sans déplaisir, il n’y a là pas de quoi fouetter un chat, même noir comme la ténèbre.
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