[Via Alpina : 2500 kilomètres d'une mer à l'autre | Vincent Tornay]
« A la muse élégante qui dansait derrière mes mots. » La dédicace laisse le lecteur potentiel, pourtant entreprenant, pantois et dubitatif quant au temps qu’il va devoir consacrer au livre de Vincent Tornay, géographe suisse de formation, intitulé
Via Alpina : 2 500 kilomètres d’une mer à l’autre. Si les Suisses ont la bougeotte, voir Ella Maillart, Albert Cingria ou Nicolas Bouvier, par exemple, tous n’ont pas le talent d’écriture d’un Blaise Cendrars, autre fameux Helvète affublé du virus du voyage à défaut de celui de dromomanie [impulsion irrésistible de marcher]. Les éditeurs suisses ont le goût du travail précis et bien fait. Ici, pas de photographie floue ou approximative, aucune mise en page bâclée, pas de coquille dans le texte. On navigue dans le bel ouvrage à 40 €, balisé, cartonné, relié avec tranchefile, cette fine broderie de fil ou de soie qui se colle en haut et en bas des cahiers afin de les solidariser quand le doigt s’accroche au dos du livre et l’extirpe de l’étagère. On dit que la tranchefile maintient la coiffe ferme mais à l’ère du numérique, des livres produits industriellement et pilonnés en masse, qui se souvient des mots, des gestes et des égards séculaires qu’ont eu les hommes pour la chose imprimée ? Dans le monde moderne soumis à la vitesse, un déplacement pédestre au long cours n’est pas à considérer à la légère. Vincent Tornay a entrepris durant l’été 2007 une traversée de l’arc alpin sur 2 500 kilomètres, de Trieste à Monaco, en suivant l’itinéraire rouge de la Via Alpina soit 161 étapes à travers 8 pays : Italie, Slovénie, Autriche, Allemagne, Liechtenstein, Suisse, France, Monaco, tous signataires de la Convention alpine [les autres itinéraires étant violet (66 étapes), jaune (40 étapes), vert (14 étapes) et bleu (61 étapes)]. Les couleurs des itinéraires ne présupposent pas du niveau de difficulté qui reste modéré. Aucune expérience d’alpinisme ou de grimpeur ne sont nécessaires, les tracés empruntant pistes et sentiers sans passage de glaciers. Le corpus de l’auteur se chapitre assez naturellement selon les massifs traversés : massif du Triglav, Alpes carniques, Dolomites, Alpes du Zillertal, massifs du Karwendel et du Wetterstein, massif du Rätikon, massif de la Bernina, Alpes tessinoises, valaisannes, massif du Mont-Blanc, Vanoise, Queyras, Argentera-Mercantour. Quelques pages présentent chaque massif à la manière d’un journal de bord agrémenté de photographies. S’ensuit un descriptif de l’itinéraire à l’égal d’un topo guide personnalisé avec cartes et photographies à l’appui. Une dernière double page en fin de chapitre donne à voir sur une carte la portion de l’itinéraire décrit avec en regard des informations pratiques, références cartographiques, adresses d’hébergements avec sites Internet, etc. Il en sera ainsi pour chaque massif décrit. Une bibliographie succincte mais intéressante complète l’ouvrage ainsi qu’un index des points d’étapes. Précis, concis, utile, le livre peut constituer une base documentaire et iconographique de premier choix pour inventer son propre itinéraire dans des régions alpines encore à l’écart, pour certaines, du tourisme de masse. L’auteur est assez convaincant quand il laisse sa plume de géographe parler :
« […] dans le massif de Karwendel… accumulation de strates, de plis, de soulèvements rocheux dressant des murs verticaux… ». Il l’est beaucoup moins quand il s’épanche :
« […] je sais déjouer les affres de mon âme quand le silence est trop fort » mais son témoignage n’en est pas moins intéressant pour autant. Mélange de vécu, volatil par essence, et de données informatives, factuelles, pérennes,
Via Alpina peut donner l’élan, l’impulsion d’un grand départ vers l’inconnu, l’inconnu étant aussi souvent soi-même, à deux pas d’ici, dans le gigantisme et la solitude des Alpes d’Europe qui restent sans cesse à découvrir.
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