[Le Peu du monde ; suivi de Je te salue Jamais | Kiki Dimoula]
Les deux titres du recueil captent immédiatement l’attention du lecteur mais comme il peut y avoir tromperie sur la marchandise avec un emballage prometteur et un contenu vain, voire indigeste, l’entrée dans la poésie de Kiki Dimoula se fait sur la pointe des pieds aussi parce que les rimes font défaut. Peine perdue, peine perçue ! D’emblée, dès l’entrée en matière, le premier poème sur trois pages intitulé sobrement
Passée est déjà un bijou accroché à la nuit qui marche. Des mots simples de tous les jours, en apparence, des phrases courtes mais qui résonnent dans la chambre d’écho de la mémoire pour dire la perte de toute chose :
« Je marche et la nuit tombe./[…]Non, je n’ai pas de chagrin. […] La nuit tombe à l’heure juste. » L’attention est hantée ; la tension est entière. Le second poème,
Pluriel, égrène, telle une leçon ânonnée en classe, les sentiments et les thématiques de l’auteur mais par un renversement sensible et intelligent des sens, le poème prend une dimension métaphysique stupéfiante. Il est quasi impossible d’en extraire un vers tant l’ensemble vibre d’une cohérence insécable. Non, il n’y a pas entourloupe aux entournures ! La poétesse trame sa poésie autour de quelques thèmes ressassés à l’envi sur le métier à tisser la vie et à filer les métaphores : l’absence de l’être chair, la perte irrémédiable de l’autre, l’existence qui file un mauvais coton :
« Coûteuse idée, la vie./On affrète un monde/pour faire le tour d’une barque » et le poids de la photographie :
« Pas de nouvelles de toi/Ta photo, stationnaire ». A peine pourrait-on regretter l’absence d’ancrage dans la réalité, le tout juste effleurement de la nature quand un vers joyau vient remettre les pendules à l’or :
« J’existe à voix basse » ou encore :
« J’ai grandi autodidacte écoutant la vague/déplacer les galets si naturellement ». Si on substitue à la vague le temps et aux galets les hommes, on ressent avec force la vacuité et la noblesse du flux de la vie, sa transmission et son irrémédiable extinction. Seuls trois recueils de poésie de Kiki Dimoula sur les douze édités entre 1952 et 2007 ont été traduits en français, un auteur rare et précieux, à dévêtir de nos maux. Comme elle :
« Je suis l’assistant aveugle du verbe magicien./Il hypnotise une douleur intenable, elle devient/ambulatoire. » Alors, depuis, je marche.
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