[CORPS DE FEMMES REGARDS D'HOMMES. Sociologie des seins nus | Jean-Claude Kaufmann]
Côté subjectif : j'ai des griefs de longue date à l'égard (du comportement auto-conscient) de la beauté féminine ; j'ai des griefs tout aussi enracinés à l'encontre des regards (masculins et féminins) qu'on lui porte ; je nourris un scepticisme invétéré à l'adresse de la prétendue "liberté" de l'individu, notamment dans ses comportements et plus spécifiquement dans ceux qu'il prétend être les plus transgressifs ; je retrouve ce scepticisme démontré sous forme scientifique sérieuse chez J-C. Kaufmann, et c'est l'une des raisons pour lesquelles je l'aime ; ce fut fort amusant de me trouver sur une plage - spécifiquement en présence d'un certain nombre de femmes aux seins nus - en train de lire un essai qui en déconstruisait la banalité toute apparente et en analysait les motivations dans la grande complexité des règles strictes qui les régissent : une sorte de plaisir d'apprenti démiurge qui guignerait et ricanerait : "Ah, ah ! je vous ai démasquées !"... (difficile de démasquer un corps presque nu, penserez-vous... eh oui, eh oui!)
Côté objectif : il s'agit là d'une des premières enquêtes de l'auteur sur l'individu, la femme, les normes sociales implicites sous couvert de "vie ordinaire", de détails apparemment allant de soi, bref sur les aspects cachés du fonctionnement social. Sa méthodologie, ainsi que les apports théoriques sur lesquels il se base (Norbert Elias, Erving Goffman, etc.) sont très soigneusement énoncés (plus que dans les essais récents). Le thème est riche et les découvertes nombreuses : la fausse banalité du geste, la fausse désinvolture des femmes aux seins nus, la fausse distraction du regard rêveur et somnolent de la plage, sa fausse tolérance ou absence de jugement, l'ambiguïté et la permanente contradiction des propos des quelques trois cents interviewé(e)s.
Je retiens en particulier les éléments suivants (mais cela ne tient qu'à moi) :
- la tripartition du corps de la femme, à la fois corps banalisé (comme lorsqu'on se touche la main), corps érotisé, et corps esthétisé (parfois mais pas uniquement par sublimation).
- "la dictature du beau (sein)" ayant des dérives de nature éthique (jugement binaire sur la légitimité du comportement, intolérance, rejet par la seule pression d'un "certain" regard) ; mais aussi, de façon notoire, en relation avec l'estime de soi.
- la construction contextuelle (par la norme sociale incorporée) du "normal", de la gêne, de la prise de rôle, entièrement à l'encontre de la prétendue liberté individuelle (même sur un domaine aussi emblématique que semble l'être son propre corps)...
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