Ayant fait connaissance de l'auteur par l'excellente synthèse de son
Manifeste des Chômeurs Heureux que voici :[url]
http://cqfd-journal.org/Le-manifeste-des-chomeurs-heureux[/url]
mes attentes modérées et légitimes se limitaient à un pamphlet humoristique, pertinent et provocateur. Jamais je n'aurais pensé être confronté à l'un des ouvrages les plus sérieux et rigoureux de critique économique qui me soit passé entre les mains depuis longtemps. Elargissant en accordéon le concept de motivation tel qu'on le connaît dans le contexte étroit du monde du travail, mais sans en perdre de vue l'origine, cet essai alterne l'analyse du marché-consommation avec celle du (pseudo-)marché du travail, pour faire, des deux, une critique se poussant au-delà même des théories de la décroissance.
Ses postulats sont d'une extrême simplicité, mais la rigueur de l'argumentation les conduit à des conséquences profondément troublantes et à des stratégies de résistance authentiquement subversives :
1. "Aujourd'hui, tant le travail que la consommation exigent sans relâche notre participation active, notre créativité effrénée et les preuves tangibles de notre engagement positif." (p. 159) ;
2. "Il va sans dire que le but de ce que l'on nomme couramment, faute de mieux, le système économique, n'est pas la satisfaction des besoins. Quels besoins d'ailleurs ? Le but du jeu est l'accroissement infini du capital : faire avec de l'argent plus d'argent." (p. 76).
3. (Dépassement la théorie de la lutte de classe) "Aujourd'hui en revanche, la classe supérieure mondialisée mène une lutte unilatérale. L'un après l'autre, les systèmes de défense (que ceux-ci soient d'ordre juridique, politique ou coutumier) qui, dans chaque pays, protégeaient encore les populations de l'invasion mercantile sont enlevés de haute main." (p. 164).
Dans ces conditions, la "démesure" aussi bien du marché, de la production, de la consommation que de l'investissement requis du travailleur post-taylorisé, laquelle représente le cheval de bataille des théories de la décroissance, n'est pas perçue comme une dérive pathologique, mais bien comme la conséquence propre du fonctionnement du capitalisme qui fait s'écrouler toutes contraintes à son encontre.
L'ouvrage se développe autour des six chapitres suivants :
1. "Pourquoi fait-on quelque chose plutôt que rien" - développement de la métaphore de l'âne motivé par la carotte et le bâton;
2. "Marchés obligatoires" - sur l'élargissement des marchés et des rapports de force par "dissémination" dans des domaines que traditionnellement ils n'investissaient pas;
3. "L'entreprise veut votre bien (ne le lui donnez pas)" - organisation du travail depuis le taylorisme (qu'admirait tant Lénine...);
4. "La drogue travail" - sur le caractère addictif et le manque de reconnaissance socio-médicale de celui-ci que le travail moderne possède;
5. "Les métamorphoses du fétiche" - critique historique du concept marxien de "marchandise fétiche" et en particulier des illusions déresponsabilisantes sur le pouvoir pervers du marketing;
6. "Annulation de projet" - la "pars construens" de l'ouvrage, sur l'opportunité d'une résistance passive par la démotivation (au sens large).
Comme chez Marx, paraît-il, nous sommes en présence d'un ouvrage massif (
Le Capital) et d'un
Manifeste plus vulgarisateur...
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