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[La vie de ceux d'avant : souvenirs d'un simple paysan d...]
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Franz



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Posté: Lun 17 Mai 2010 11:54
MessageSujet du message: [La vie de ceux d'avant : souvenirs d'un simple paysan d...]
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[La vie de ceux d'avant : souvenirs d'un simple paysan de la vallée de l'Asse | Albert Cotte]

Par les sentiers ombilicaux déroulés sur le ventre des montagnes nourricières, le marcheur peut encore sentir aujourd’hui les dernières pulsations d’un village abandonné de longue date. Le Poil, planté tel un pieu [Lou Péu en provençal] dans le long rocher hérissé en crête, dans les Préalpes de Digne, se trouve à une splendide croisée des chemins, grand ouvert sur des lieux aimantés.
C’est ici qu’Albert Cotte (1907-1992) est né. Son livre est un témoignage de fin de vie construit sur plusieurs hivers, mémoire dévidée puis travaillée avec des mots simples et touchants, regroupés, organisés, peaufinés, agrémentés de croquis, de photographies en noir et blanc, de cartes postales anciennes, de cartes topographiques, de fragments d’entretiens. Un glossaire franco provençal complète utilement l’ouvrage. Construits chronologiquement, les souvenirs sont amenés en surface avec bonheur, sincérité et humilité : « […] je n’ai été qu’un homme des plus ordinaires, un simple paysan de la vallée de l’Asse… ». En dépit d’une présentation vieillotte, d’un titre à rallonge, d’une couverture peu engageante, le lecteur sent et sait qu’il tient une somme entre les mains, un passé définitivement révolu qui vibre à nouveau par le pouvoir des mots. Dès la première ligne, on est happé, ému, éduqué à la vie besogneuse d’antan. Albert Cotte le dit : « […] la vie était dure… on ne se posait pas de questions et on était heureux ‘comme ça venait’. » Après une présentation succincte mais indispensable de son village, Albert Cotte s’attarde sur la maison familiale. Le lecteur entre de plain-pied dans la vie ample et rustique « de ceux d’avant ». Des croquis faits de mémoire donnent une idée de l’aménagement intérieur et de l’imbrication intelligente des hommes et des bêtes. L’enfance, l’école communale avec Mlle Chabaud, le catéchisme et l’époque des « matefaims [grosses crêpes aux lardons] et de la casseille [fromage fondu] s’incarnent sous les yeux incrédules du lecteur. Les fromages de chèvre sont d’abord couvert de vers sauteurs [les saùtaïres] : « On les entendait taper au couvercle de la marmite ! Un mois après, la vermine avait disparu. On pouvait alors faire des tartines que l’on grillait un peu à la braise de la cheminée. On se régalait. » Il est évidemment impossible de recenser ici tous les étonnements, les enchantements, les quelques irritations (Albert Cotte est chasseur) et la mélancolie que le texte procure. Il faut lire le splendide portrait du colporteur Théodore : « Personne ne ferait plus aujourd’hui ce qu’il faisait : 6, 7 ou 8 km à pied avec 70 kilos sur le dos ; tout ça pour vendre quelques aiguilles ou quelques malheureux lacets. » ou encore celui, non moins extraordinaire d’Emile Chauvet, le maréchal ferrant. Les histoires de chasse sont étonnantes. Elles parlent d’hommes en intelligence avec la nature, pisteurs hors pairs, observateurs finauds, connaisseurs sensibles des animaux et de leurs comportements. Avec l’installation de la famille Cotte dans la vallée de l’Asse, le lecteur perçoit les transformations qui vont révolutionner l’agro pastoralisme des milieux montagnards et saisit la perte progressive d’une nature généreuse (la lavande sauvage pousse à foison ; les lapins et les lièvres abondent). Rien de nostalgique dans les mémoires d’Albert Cotte ! Parfois, l’œil et l’esprit de l’homme se conjuguent à la beauté émouvante de la nature et cela donne le curieux témoignage intitulé Les lapins qui font de la musique : « La mère se dresse haut sur ses pattes, chacun des petits se suspend à une de ses mamelles et la musique commence. […] Cela ne peut se décrire, toutes ces langues qui claquettent et tous ces petits corps soyeux qui dansent… » Le seul petit regret, en refermant le précieux livre, aura été de ne pas connaître davantage les parents d’Albert Cotte ou encore sa femme, Lucie, née Hermellin. Il est probable que les regards croisés de ces hommes et femmes « de peu », « bien campés sur leurs jambes », auraient considérablement enrichis le travail de mémoire essentiel du « simple » paysan de Sargan.
En automne, dans la flambée des herbes d’or, nous marchions dans les Alpes-de-Haute-Provence et nous avons saisi au vol l’esprit des lieux mais les fantômes sont légers, discrets et volatils. Un rien les effraie et nous ne faisions qu’aller sans possibilité de retour. Le livre est un relais qui permet de faire revivre le passé et réactiver ses souvenirs avec ceux des autres. Le quotidien d’Albert Cotte, toutes proportions gardées, était un peu aussi le nôtre dans les années d’après guerre quand nous vivions à l’économie, dans la lenteur d’un quotidien banal, dans la richesse aurorale d’événements insignifiants et neufs à l’exemple d’un vol de hannetons par une nuit d’été.

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