Des toiles grands formats où fruits et fleurs s'épanouissent en bouquets somptueux et lumineux, chatoyants, flamboyants, foisonnants ; des couleurs triomphantes, des formes surtravaillées, superposées ; du tacheté, du rayé, du bariolé... On dirait que ça ondule, que ça vibre, que ça grouille ! Des rinceaux de marguerites entremêlées, des feuilles et plumes comme des yeux ornés de cils, des arbres de vie puissamment dressés vers le ciel... Des tableaux floraux, tous dédiés à la Vierge ou à Dieu. Car tout a commencé par un ordre. Impératif. Venu de la Vierge, ou d'un ange, la version varie. Mais c'est ainsi qu'a débuté l'aventure de la peinture pour Séraphine de Senlis...
Né en 1864, pauvre, orpheline, bonne pendant 20 ans chez les sœurs, Séraphine Louis est ensuite domestique dans des familles bourgeoises de Senlis. C'est à 42 ans que, cédant à la voix de la Vierge, elle commence à peindre, en cachette, vivant de ménages le jour (ses « travaux noirs ») et peignant la nuit (ses « travaux de couleur »), tout en priant, récitant des psaumes et chantant des cantiques. Or, le hasard veut qu'elle se trouve placée comme femme de ménage chez le collectionneur allemand Wilhelm Uhde, qui défendit très tôt Picasso, Braque et, surtout, révéla la peinture dite naïve du Douanier Rousseau. L'homme d'art devient le mécène de Séraphine : il lui achète toile et matériel, et la protège, malgré la guerre ou l'exil. Un soutien qui cessera lorsque Uhde, appauvri par la crise économique, ne peut plus l'aider : Séraphine se sent alors abandonnée, perd la raison, et est internée (en 1931) jusqu'à sa mort, en 1942.
La biographie que lui consacre Françoise Cloarec, peintre et psychanalyste, est plaisante : elle se lit vite et facilement. Mais le livre reste léger, presque superficiel, et laisse beaucoup des zones d'ombre. Il ne fait qu'effleurer, par touches, par suggestions, la complexité du personnage, contrasté, où se mêlent l'inspiration, l'exaltation, la froidure de l'isolement, de la solitude et de l'incompréhension, et enfin la démence... Car on sait finalement peu de chose de Séraphine, et cette biographie manque un peu d'étoffe. On y apprend tout de même certaines petites choses, sur le contexte artistique (l'émergence et la reconnaissance de l'art « naïf » ou « brut ») et historique (la condition catastrophique des asiles durant la seconde guerre mondiale), mais Séraphine, elle, reste insaisissable...
le cri du lézard