Je ne vous résumerai pas l’histoire de ce roman car d’histoire il n’y a pas ! Et pourtant, pas une seule fois au cours de la lecture de ses 400 et quelques pages, je n’ai senti mon intérêt faiblir ou mon plaisir décroître.
Nous sommes en 1939, dans une petite ville du Sud des États-Unis, où une grande partie de la population, pauvre et ouvrière, est employée dans les florissantes filatures de coton.
L’auteure décrit le quotidien de ses protagonistes, et surtout les relations qui les lient les uns aux autres. Car s’il n’y a pas véritablement d’histoire dans « Le cœur est un chasseur solitaire », il foisonne en revanche de nombreux personnages, tous plus intéressants et attachants les uns que les autres.
Il y a…
…Mick, l’adolescente de 15 ans, passionnée de musique, qui rêve de devenir compositeur, mais dont les faibles revenus de ses parents ne lui permettent pas de manger tous les jours à sa faim…
…Benedict Copeland, le médecin noir dont le plus cher désir est de voir ses semblables s’émanciper grâce à l’instruction, que l’attitude soumise et bigote de ses enfants déçoit.
…Jake Blount, le communiste, qui ne tient pas en place et se rend de ville en ville en tentant de faire comprendre à la classe ouvrière qu’elle est asservie et doit se révolter.
…John Singer, le sourd-muet, qui occupe une chambre dans la pension tenue par les parents de Mick, un homme discret, patient, soigneux et qui, en raison de son infirmité, se révèle être l’interlocuteur idéal, toujours à l’écoute.
Et il y en a beaucoup d’autres, le mieux étant de lire ce roman pour faire leur connaissance…
Dans les rapports qu’entretiennent les protagonistes les uns aux autres, c’est la diversité des manifestations d’amour qui s’en dégagent qui m’a frappée dans un premier temps.
C’est…
…l’amour-sollicitude de Portia Copeland pour son père, Benedict, en dépit de leurs dissensions et de l’incompréhension qui règnent entre eux.
…l’amour un peu trouble que Biff, le restaurateur, éprouve pour la jeune Mick, et qui le met mal à l’aise.
…l’amour quasi-mystique que l’adolescente elle-même éprouve pour John Singer, ou encore l’amour « irrité, inquiet », que Benedict Copeland éprouve pour son peuple.
L’expression de toutes ces sensibilités a un côté extrêmement touchant et rassérénant, j’y ai trouvé aussi une certaine beauté, de celles qui vous apaisent. Parfois, j’ai en revanche été surprise par l’extrême sentimentalisme dont faisaient preuve certains personnages (je pense notamment à John Singer, qui écrit à son ami Antonapoulos comme il le ferait à l’attention d’une femme aimée).
Attention, n’allez pas croire que le roman de Carson McCullers est un étalage de mièvrerie et de bons sentiments dégoulinants ! Non, tout y est bien plus subtil. Ses personnages aiment simplement comme nous pourrions le faire, et semblent surtout en quête de reconnaissance, de quelqu’un qui les aimerait eux-mêmes, et surtout qui les écoute, ainsi que le montre la facilité avec laquelle ils s’ouvrent auprès du muet John Singer de leurs aspirations, de leurs déceptions, en bref de tout ce qui fait leur vie et détermine leurs émotions.
L’auteure analyse très finement la psychologie de ses héros, en dépeignant leurs motivations inconscientes et leurs faiblesses, les rendant ainsi très proches de nous. Il y a un côté un peu triste aussi dans tout cela. Il est en effet souvent question de solitude, de celle que l’on ressent en dépit de ceux qui nous entourent, mais qui ne nous comprennent jamais vraiment. Et puis il y a cette idée d’unilatéralité dans les rapports humains, qui fait que les deux protagonistes d’une relation n’en retirent pas la même satisfaction.
Il m’est arrivée plusieurs fois au cours de ma lecture de penser au roman d’Harper Lee : « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur », en raison de certains aspects du contexte (la condition des noirs-américains dans les années 30, par exemple) et de la part importante qu’y occupent les personnages enfantins.
Seulement, alors que le but du roman d’Harper Lee semble être en partie d’illustrer un propos indissociable d'une époque donnée, j'ai eu le sentiment que « Le cœur est un chasseur solitaire » aurait pu se dérouler n’importe quand. En effet, les éléments liés aux réalités économiques et sociales du récit s'y insèrent naturellement car faisant partie intégrante de la vie des héros mais ils ne m'ont finalement pas parus primordiaux. Ce que je retiendrai plutôt de cette lecture, c'est la justesse avec laquelle Carson McCullers traite de thèmes universels tels que ceux évoqués plus haut, cette combinaison des paradoxes qui composent les rapports humains. Et puis que j'y ai pris énormément de plaisir !
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