Avec ses grisés an aplats, le noir et blanc de l’album passerait presque pour de la couleur. On dit que le gris fait chanter les couleurs. Ici, il fait chatoyer les noirs et les blancs. N’est-ce pas un miracle digne de son contenu qui consiste à traiter de « Dieu en personne » ?
Le premier chapitre, « Dieu Dieu » se construit en sous-chapitres, « Le recensement », qui, sous une bonhomie feinte de trognes hilares mangées par les ombres, de situations proches de l’absurde, voit l’arrivée de Dieu, tel un simple quidam, s’inscrire au registre de recension. « Hé ! Vous avez entendu ? Il y a un gars qui prétend être Dieu ! » ; « Eh bien bon courage mon gars ! ». Attachée de presse, soudeur, psychiatre, historien, laborantine, sociologue y vont de leur couplet pour rendre compte de la venue de Dieu parmi les hommes. Les autres sous-chapitres s’enchaînent, « Prodiges », « Le bain de foule » et amènent au second chapitre, « Le procès », le plus conséquent en nombre de pages. L’album se clôt sur un épilogue qui laisse une béance insondable comme une conclusion ouverte et sans réponse.
L’auteur a l’art de mélanger le loufoque et le tragique, de fortement connoter son discours pour mieux le subvertir. Les références à la télévision de papa (« Au théâtre ce soir », le duo de commentateurs : « Tout à fait Thierry ! » qui aura le dernier mot de l’histoire) s’entremêlent habilement aux maux contemporains (on n’existe que médiatiquement ; tout se construit de toute pièce et peut s’effondrer instantanément). Il faut com-mu-ni-quer ! Le sens est partout dans cet album intelligent en diable. Il faut le déguster par petites lampées gourmandes. On est saisi par un vertige métaphysique. Notre psyché est-elle aussi vaine que ça ? « Dieu en personne » est un titre polysémique. Incarné, il n’a plus d’existence. Confronté à un super ordinateur lors de son procès, Dieu s’émeut de la familiarité et de la naïveté de H-1, une machine qui a « des billions de données en mémoire, soumises aux trilliards de paramètres qu’il manipule, eux-mêmes synthétisés par les millions de moteurs d’analyses, sans oublier l’interconnection de variables aléatoires (émotion, hasard…) ». Faut-il passer par un ordinateur pour exprimer une simple question de cœur ?
Les bandes dessinées de Marc-Antoine Mathieu m’apparaissent aujourd’hui essentielles.
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