« Utu » fait suite à « Haka », mais ces deux romans peuvent aussi se lire indépendamment. Les personnages n’y sont pas les mêmes, et les intrigues, bien que basées au départ sur des éléments communs, prennent des directions différentes. Dans « Utu », la problématique liée à la condition du peuple maori est au cœur du récit, quand elle n’était qu’une composante parmi d’autres de l’histoire de « Haka ».
En commun, ils ont chacun pour personnage principal un flic aux méthodes plus que douteuses, dépourvu d’idéal, d’ambition et d’amour-propre. Paul Osborne remplace ici Jack Fitzgerald, dont il fut l’un des collaborateurs, avant de quitter brusquement la police et la Nouvelle-Zélande pour l’Australie. C’est d’ailleurs sur une plage de Sidney que nous le rencontrons au début du récit, où, en raison de son allure et de son odeur (après une nuit plus qu’arrosée, il s’est fait dessus), il est pris pour un clochard. Rentré chez lui, il a la surprise d’y trouver un ex-collègue, qui l’informe que la police d’Auckland requiert son aide et ses compétences relatives à « la question maorie » pour faire la lumière sur les zones d’ombre de la dernière enquête de Fitzgerald, qui fut un véritable fiasco.
Drogué, alcoolique, insoumis, c’est avec des procédés parfois très particuliers qu’il va s’occuper de cette affaire.
A l’image de cet antihéros désabusé et autodestructeur, le récit est plombé d’un désespoir sans issue, d’une vision amère et pessimiste de cette société néo-zélandaise, qui, comme toutes les sociétés basées sur la conquête colonisatrice, est mère d’injustice et d’inégalité. Les divers
protagonistes que rencontre Osborne au cours de son enquête représentent comme un échantillon de la population, avec ses différences et ses visions antagonistes. A celle du riche colon britannique qui méprise ces autochtones "assistés, alcooliques, voleurs", s’oppose celle des maoris qui reprochent aux occidentaux d’avoir pillé leur art et leurs ressources économiques, d’avoir vidé leur terre de sa substance, de les avoir réduit à l’esclavage. Pour les plus déterminés (ou les plus désespérés), seul le « Utu », la vengeance, pourra les laver de cette avanie. Entre ces deux extrêmes, il y a ceux qui cohabitent tant bien que mal, ceux qui « s’assimilent », ceux qui, loin des considérations sociologiques ou politiques, ne pensent qu’à faire de l’argent, ceux qui en pâtissent… la vie quoi, telle que l’homme l’a rendue, et dans ce qu’elle peut avoir de pire.
« Utu » est un roman très fort, très marquant, que j’ai trouvé libéré de certains défauts remarqués dans « Haka », avec lequel il a en commun une noirceur telle que j’en ai rarement vue.