Le Clézio est un homme du monde. Ce n’est bien sûr pas au sens social que je l’entends, mais au sens humain : Le Clézio est un homme de la Terre, qui a beaucoup voyagé, mais qui surtout la parcourt au travers de ses livres. Et lorsqu’il nous emmène à la découverte d’un pays, de sa culture, de ses habitants, c’est comme s’il était l’un d’eux. Il s’oublie en tant qu’individu, pour se faire le porte-parole de l’Homme, dont il semble capable de faire siennes toutes les langues, toutes les religions, toutes les histoires.
Le Clézio est aussi un homme de la terre. Dans ses romans, la nature et les éléments occupent souvent une place aussi importante que celle du récit et des personnages. Sans cesse il nous plonge dans l’évocation d’une réalité sensorielle inspirée du vent, de l’eau, du sable, du soleil, des odeurs des plantes, du bruit des insectes…
Cet humanisme et ce rapport instinctif à la nature prennent dans « Désert » toute leur mesure. C’est du désert marocain dont il y est question, où nous suivons alternativement deux histoires. La première est celle du périple, pendant des semaines puis des mois, des tribus nomades menées par le cheikh Ma el Aïnine, au début du XXème siècle. Celui-ci, réfractaire à toute pénétration étrangère au Maroc, a l’intention de fuir l’envahisseur européen et de lui résister. Parmi ces nomades, Nour, un jeune garçon, descend par sa mère d’El Azraq, « l’homme bleu », dont les exploits et la sagesse sont auréolés de légende. La marche de ce peuple du désert est interminable, pénible, la nature hostile fait de nombreuses victimes, mais inlassablement, ils avancent, ils sont « les hommes et les femmes du vent, de la lumière, de la nuit (…) », ils portent « avec eux la faim, la soif qui fait saigner les lèvres, le silence dur où luit le soleil, les nuits froides, la lueur de la Voix lactée, la lune (…) ».
Plus proche de nous, l’histoire de Lalla : orpheline, elle a été recueillie par sa tante Aamma, et vit dans la Cité, où les maisons sont faites de planches et de papier goudronné. Lalla n’aime rien tant que sa liberté. Elle passe des heures à parcourir les dunes du bord de mer, les sentiers des bergers, à visiter Naman, le vieux pêcheur qui lui raconte comment sont les grandes villes d’Europe, et « Le Hartani », le jeune garçon muet qui garde les chèvres, et vit comme un sauvage. Lorsque, avec Aamma, elle partira vivre à Marseille, jamais elle ne se défera de cette liberté, et de son attachement à sa terre d’origine, un attachement plus instinctif et intuitif que culturel. Elle a en commun avec Nour, le jeune nomade qui vécut presqu’un siècle auparavant, El Azraq pour ancêtre.
En écho à la guerre perdue d’avance par Ma el Aïnine et ses hommes (car l’honneur et le courage des hommes du désert ne font pas le poids contre l’argent des multinationales), Lalla, finalement, gagne la sienne. La force et la pureté qu’elle puise dans la simplicité de sa vie font qu’elle ne se laisse corrompre ni par l’argent, ni par l’illusoire pouvoir que peut procurer la célébrité. Sa fidélité à ce qu’elle est, à la terre dont elle est issue, est bien plus forte que les méprisables tentations d’un monde matérialiste où elle et ses semblables n’ont pas leur place.
On retrouve dans « Désert » certains des thèmes récurrents de l’œuvre de Le Clézio, notamment celui de l’errance (le mode de vie nomade le fascine, et il a d’ailleurs épousé en seconde noce une marocaine sahraouie, de la tribu des Laaroussiyine), ainsi que son aversion pour le colonialisme.
Lui-même se décrit comme un « schizophrène intercontinental », et dit ne pas considérer avoir de pays natal. Ce qui a d’ailleurs été la raison de certaines critiques, lors de l’attribution de son Nobel, qui lui ont reproché ce manque de sentiment d’appartenance à la patrie française !
Quand j’entends ça, je me dis qu’il devient urgent de faire lire Le Clézio…
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