Nathan Zuckerman, le personnage principal de ce livre, est l'alter ego régulier de Philip Roth. On le retrouve dans nombre de ses romans, tantôt personnage central, tantôt second rôle. Dans tous les cas, il semble révéler les réflexions, les certitudes et les doutes de son créateur. Réflexions sur l'écriture, sur les relations complexes entre l'art et la vie, sur la place de l'écrivain dans la société, sur l'actualité, la politique et l'avenir de la société américaine...
Nous retrouvons donc Nathan Zuckerman à 71 ans, toujours épatant d'intelligence, de lucidité et d'humour ironique, et désormais écrivain reconnu. Le voilà de retour à New York après onze ans d'exil volontaire dans les Berkshires (campagne du Massachusetts). Onze années vécues en solitaire et exclusivement consacrées à l'écriture et à la lecture. Onze années "hors la vie", coupé de tout et de tous. Si ce jour d'automne 2004 Nathan Zuckerman est de retour à New York, c'est poussé par la nécessité. Il revient pour subir une intervention susceptible d'améliorer son problème d'incontinence, à défaut de pouvoir régler l'autre conséquence pénible de son cancer de la prostate : l'impuissance. De retour au monde dont il s'était volontairement soustrait, le voilà obligé de se confronter à ce qu'il avait fui : les autres, et avec eux les rapports de force et le retour des affres du désir.
Dans la ville encore secouée par l'onde de choc des attentas du 11 septembre 2001 et accablée par la réélection inattendue de George W. Bush, trois rencontres vont occuper Nathan Zuckerman. Il y a d'abord Amy Bellette, ancienne compagne de son mentor, l'écrivain disparu E.I. Lonoff, aujourd'hui décatie et atteinte d'une tumeur au cerveau. Puis Richard Kliman, jeune arriviste insupportable qui a entrepris d'écrire une biographie de Lonoff alourdie d'un sordide secret, au grand dam de Zuckerman, pour qui l'entreprise reviendrait à laisser la vie du grand homme prendre le pas sur la postérité de son œuvre. Enfin, un jeune couple d'écrivains avec qui il envisage un échange de maisons. Et voilà Zuckerman, qui s'en croyait immunisé, en proie au désir fou pour Jamie, la très charmante jeune femme du couple. Et afin d'exorciser cette impossible liaison, il rédige, au grès de ses fantasmes, des dialogues de théâtre où Elle et Lui se donnent la réplique. Mise en abîme de l'écrivain qui ré-enchante son existence par la fiction.
Pour Philip Roth, Nathan Zuckerman est habituellement le dépositaire des séismes individuels provoqués par l'Histoire américaine. Ainsi ce roman aborde les conséquences psychologiques des attentats de 2001 et de la réélection de Bush fils. Cependant, dans Exit le fantôme, son principal sujet n'est pas là, mais est son héros lui-même et sa condition d'homme sur le déclin, en déroute tant physique qu'intellectuelle. Il aborde de façon tour à tour digne, mélancolique, rageuse ou moqueuse le problème du vieillissement et du cortège de maladies, de petites misères, de renoncements et d'humiliations qui l'accompagnent.
Dans ce roman, Philip Roth interroge aussi la fiction et la postérité littéraire en une charge contre le réductionnisme biographique. Par la révolte de Zuckerman devant l'opportunisme de Richard Kliman, Philip Roth dénonce le sort des artistes donnés en pâture contre leur gré à des biographes plus enclins à se faire un nom qu'à comprendre l'œuvre, à chercher un scandale vendeur qu'à respecter l'intimité de l'homme. Ainsi écrit-il :
« Dès que l'on entre dans les simplifications idéologiques et dans le réductionnisme biographique du journalisme, l'essence de l'œuvre d'art disparaît ».
Exit le fantôme est donc un roman très riche et profond, dont la multiplicité des interprétations possibles n'ôte rien à l'élégante simplicité et à la discrète sophistication.
le cri du lézard