Lemmer s’est édicté ses propres lois : « ne pas s’impliquer » et « ne faire confiance à personne ». Lemmer est un invisible et non un gorille (un cerbère « hyperbuildé » aux rictus éloquents), un garde du corps discret, efficace qui répond à la demande via une société de sécurité. Emma Le Roux a pu s’enfuir de chez elle alors que trois hommes cagoulés ont forcé sa demeure avec l’objectif plus que probable d’attenter à sa vie. Elle obtient l’aide de Lemmer. Elle lui raconte que son frère Jacobus, ranger du parc national sud-africain Kruger, est mort depuis vingt ans lors d’une échauffourée avec des braconniers. Par inadvertance, elle a cru l’apercevoir récemment à la télévision dans un reportage sous le nom de Jacobus de Villiers. Emma pense qu’il y a peut-être un lien entre la tentative d’assassinat dont elle a été victime et la réapparition énigmatique de son frère défunt. Lemmer est sceptique. Il garde raison et continue d’ériger sa philosophie de la vie en dogme. Loi de Lemmer : « si un riche Afrikaner peut en mettre plein la vue, il le fera. La première chose qu’achète un riche Afrikaner, c’est de plus gros nichons pour sa femme. La deuxième chose, une paire de lunettes de soleil hors de prix (avec le nom de la marque bien en vue) qu’il n’enlève que quand il fait totalement nuit. Cela lui sert à instaurer une première barrière entre les pauvres et lui. « Je peux te voir mais toi, tu ne peux plus. » […] Combien de temps faudra-t-il encore pour que nous dépassions notre sentiment d’infériorité intrinsèque ? »
Les romans de Deon Meyer sont tous bâtis sur le même modèle mais les nuances sont notables et composent un tableau d’une fine et riche texture à mesure que l’œuvre se constitue de livre en livre. Ici, Lemmer raconte toute l’histoire. D’abord extérieur au sujet car doutant des dires d’Emma, Lemmer l’invisible n’est guère convaincant. Le lecteur laisse ainsi filer les cinquante premières pages car il se sent extérieur lui aussi à l’intrigue. Puis le roman prend du relief, se grave au burin et à l’acide. Lemmer s’implique, se dévoile et décolle. Les derniers chapitres alternés racontant le passé de Jacobus et la traque de Lemmer sont palpitants, chargés d’adrénaline. Les personnages secondaires ne font pas de la figuration. Les rapports humains décrits sont tous plausibles. Certaines remarques glissées en passant mériteraient qu’on s’y arrête même si l’intrigue tendue fait battre les tempes du lecteur, impatient de tourner déjà la page suivante. La citation est donc donnée de mémoire car j’ai perdu la phrase en route, semée parmi les 429 pages et restée depuis introuvable : « On ne devrait pas juger les hommes sur ce qu’ils ont fait de mal dans leur vie mais sur les leçons qu’ils en ont tirées. » Cette phrase de tolérance prend évidemment une toute autre dimension en Afrique du Sud, pays post apartheid, là où se déroule l’action haletante du roman.
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