Je suis comblé par les descriptions olfactives de ce monde (Paris, et un petit tour de la France) du XVIIIe siècle. Je trouve la structure narrative très accomplie (et classique), la chute passionnante et imprévisible, le dosage entre l'épaisseur du héros et des personnages secondaires juste (peut-être y a-t-il un peu trop de Baldini par rapport à Grenouille dans la partie où ils sont ensemble), le cadre toujours bien soigné, ainsi qu'admirable la vraisemblance psychologique de chaque personnage et situation.
Juste deux aspects m'ont un peu gêné :
1) J'ai trouvé bien plus marqué que nécessaire le jugement porté sur Grenouille, parfois comme un véritable refrain moralisateur, d'autant moins justifié que son premier meurtre intervient très tôt dans l'histoire; lisez seulement: "En vérité, Grenouille, la tique solitaire, cet être abominable, ce monstre de Grenouille, qui n'avait jamais éprouvé l'amour et ne put jamais l'inspirer..." (p. 268 !) et avouez que ça fait penser au ton d'un (mauvais) conte pour enfant lorsqu'apparaît le méchant (et là, la fin approche déjà...). A l'inverse, je suis persuadé que le personnage de Grenouille possède un immense potentiel de complexité psychologique, que justifie d'ailleurs toute la trame (sa recherche du parfum qui le rendra aimable, essentiellement une quête identitaire, puisque son cauchemar et son premier traumatisme d'enfance consistent justement à ne pas posséder d'odeur, à ne pas être, selon le seul paramètre de d'être qu'il maîtrise...). Une seule fois cette complexité est suggérée:
"Lui, Jean-Baptiste Grenouille, né sans odeur à l'endroit le plus puant du monde, issu de l'ordure, de la crotte et de la pourriture, lui qui avait poussé sans amour et vécu sans la chaleur d'une âme humaine, uniquement à force de révolte et de dégoût, petit, bossu, boiteux, laid, tenu à l'écart, abominable à l'intérieur comme à l'extérieur : il était parvenu à se rendre aimable aux yeux du monde." (p. 334) Les autres personnages sont abjectes parce que leurs motifs sont mesquins; il est abominable mais son motif est tragique.
2) Je ne comprends vraiment pas la fonction narrative des sept années de vie larvaire passées dans la caverne inodore (sans odeur animale). J'ai pensé à la métaphore foetale, à tout ce qu'on peut imaginer comme connotation du sous-sol (mort, inconscient, enfer, purification, alchimie...), à la traversée du désert, à l'inverse des Lumières (ce qui aurait un peu de sens compte tenu de la suite, i.e. théorie fluidiale de Taillade-Espinasse - autre personnage très bien vu), au sommeil culminant dans le fameux cauchemar de la brume; j'ai songé aux "souilles des pécaris" de Vendredi ou les Limbes du Pacifique (Michel Tournier)... Et pourtant rien ne me satisfait. Pour moi, c'est vraiment une parenthèse encombrante dont la clôture, forcément, est le seul moment invraisemblable et strident du livre.
Est-ce que vous, nombreux lecteurs de ce roman, avez des idées à ce sujet? Est-ce que dans le film (pour ceux qui l'ont vu) cette partie est présente et a-t-elle de l'importance? Merci de vos suggestions/inspirations/propositions.
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