4ème de couverture (de cette éd. de 1977 que je crois épuisée - mais, rassurez vous, d'autres sont disponibles!):
"Trente ans après sa mort, Sabahattin ALI fait figure dans son pays de 'classique'. Il fut, dans les années trente et quarante, un des principaux artisans du renouveau des lettres turques contemporaines, proposant aux nouvelles générations le modèle d'une prose souple, limpide et émotive. Il fut également un des premiers écrivains turcs à s'intéresser aux problèmes sociaux. Observateur apitoyé, il consacra un grand nombre de ses oeuvres à la description quotidienne du menu peuple anatolien et s'attaqua avec acharnement aux vices de l'appareil bureaucratique de l'Etat.
Youssouf le Taciturne, publié en 1937, est une de ses oeuvres les plus achevées. Roman social, mais aussi roman d'amour, il frappe par son sentimentalisme échevelé destiné à satisfaire les exigences du public de l'époque. L'histoire de Youssouf n'est pas seulement un témoignage, c'est un véritable roman, pétri d'aventures, de passion et de poésie".
Mes commentaires:
Depuis le début de cette lecture, qui sait pourquoi, j'essaie de trouver une analogie avec quelque auteur ou ouvrage emblématique de la littérature française: j'ai pensé à Hugo et aux Misérables, j'ai pensé à quelques Balzac, et enfin - peut-être avec plus de subtilité à Madame Bovary (oui, là j'approche du mille, me semble-t-il)...
En d'autres termes: il est clair que cette littérature turque de la "période républicaine" ressemble plutôt à notre (post-)romantisme européen - avec un décalage donc d'un bon demi-siècle voire 80 ans -, aussi bien dans les thématiques que dans le style et surtout en termes de construction narrative (personnages, dialogues, descriptions, outre le plan du récit et la division des chapitres). Dans la vague de l'occidentalisation-modernisation, ce réalisme, cette (relative) "popularisation-simplification-fluidification" de la prose, l'attention portée pour la première fois à l'Anatolie et un certain regard dénonciateur sur certaines problématiques sociales (mais attention! il ne s'agit ni de Zola ni de réalisme soviétique...) surgissent à l'époque, et dans une certaine mesure ils sont bien vus par le kémalisme. Mais dans une mesure qu'Ali voudrait sans doute dépasser et enfreindre. Sa biographie très mouvementée (suspensions de l'enseignement, emprisonnement - oui, déjà! - et surtout sa fin tragique: fusillé en 1948 en tentant de traverser la frontière vers la Bugarie, donc de franchir le rideau de fer vers l'"est"...) laissent figurer une révolte dont la profondeur ne se manifeste pas dans ce roman. Il faut dire qu'en 1937, date de sa parution, l'auteur n'a que 31 ans; et nombreuses sont les pages où sa maturité semble encore bien lointaine... Il y a donc de l'amour, y compris ses côtés franchement incestueux au moins pour nous aujourd'hui, il y a les petitesses et immoralités de la notabilité provinciale, il y a le code d'honneur atavique anatolien qui vient s'opposer à la débauche (le personnage de Youssouf, ce héros du peuple...), et la mort, bien sûr, pour finir, la mort globale qui nettoie tout... (ne vous ai-je pas déjà fait ce clin d'oeil à une certaine Emma Rouault B.?)
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