[Le forçat innocent. Suivi de Les Amis inconnus | Jules Supervielle]
La collection Poésie, chez Gallimard, regroupe en un seul volume deux recueils du poète Jules Supervielle (1884-1960),
Le forçat innocent (1930) et
Les amis inconnus (1934). On touche probablement ici à la quintessence de l’œuvre poétique de l’auteur alors en pleine maturité, maîtrisant le verbe et sondant en connaisseur ses hantises et ses faiblesses. Le vers est limpide quand le propos est sombre. Jules Supervielle a l’art d’évoquer le chaos avec délicatesse, a suggérer le trouble avec trois fois rien. Ainsi, lorsqu’il évoque un simple cavalier qui passe dans « L’allée », le lecteur sent un frisson le parcourir en songeant qu’il pourrait s’agir d’un des quatre cavaliers de l’apocalypse : «
Ne touchez pas l’épaule / Du cavalier qui passe, / Il se retournerait / Et ce serait la nuit ». Dans la section intitulée « Sillage », on trouve d’incroyables vers qui résonnent d’un éclat noir ; ainsi celui-ci extrait du poème « Souvenir » :
« Quand notre amour sera divisé par nos ombres ». La légèreté du vers, la simplicité du vocabulaire, la profondeur du regard, la mélancolie sans borne qui pulse dans l’image, tout cela suppose d’approcher avec délicatesse la poésie de Supervielle et de la chuchoter en soi sous peine de la plomber et de l’abattre en plein essor. Ses mots n’ont pas plus d’épaisseur qu’une pensée errante, une parole poétique comme un oiseau tenu en main :
« Et puis ouvrir les mains./Combien d’oiseaux lâchés/Combien d’oiseaux perdus qui deviennent la rue/L’ombre, le mur, le soir, la pomme et la statue. » Plus on vieillit et plus les deuils s’accumulent. La poésie de Jules Supervielle devient alors essentielle et constitue ce précieux viatique qui permettra, dans les courts instants de répit, d’approcher au seuil de l’indicible avant de ressentir le vide infini qui s’ouvre en nous.
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