« Il est beaucoup plus facile de comprendre les manœuvres diplomatiques en Jordanie, les calamités naturelles du tiers monde et l’économie du trafic de drogue, qu’une explosion isolée de furie homicide dans un village américain »
« Affliction » pourrait avoir comme conclusion cette constatation pas très originale, mais sans doute pleine de vérité (pourquoi existeraient-ils les romans, alors – presque tous les romans, pas seulement ceux du docteur Freud – si ce n’était pas vrai ?)
Wade Whitehouse, quarante et un ans, divorcé deux fois de la même femme (pourtant, sans jamais cesser de l'aimer), désormais étranger à sa petite fille, le vice de la boisson hérité du père - mais, sous sa carapace de dur, une douceur, une vulnérabilité qui lui seront plus fatales que la violence même ; il est le policier de Lawford, un petite ville du New Hampshire qu'on disait destiné à un triste déclin (mais au contraire, il est à la veille d'être reconverti en une florissante station de ski) et, surtout, un des hommes à tout faire de Gordon LaRiviere, l'homme qui, avec ses trafics plus ou moins légaux, possède désormais la localité.
Autour de Wade, dans les jours de sa crise, pendant que la folie se prépare à éclater, accompagnée des pulsations insupportables d'une dent malade, une quantité de personnages, tous repoussés inéluctablement : Margie, l'amant de Wade, le père et la mère, les frères qui ont quitté Lawford et les quelques jeunes qui restent au village, la famille de Evan Twombley, le riche syndicaliste qui à Lawford s'est offert une villa (« construite il y a trois ans pour sembler vieille d'un siècle, comme si elle avait été héritée »), les chasseurs saisonniers, les avocats de ville, etc…
Tout se tient dans ce récit, du début à la fin, même si c'est du non-dit (ou mieux, le narrateur le dit, mais je ne crois pas qu'on doive le croire) que la mort d’Evan Twombley – le seul mort où Wade n'est pas directement ou indirectement responsable – ait été vraiment accidentel.
L’affligeante histoire de Wade est reconstituée par son frère Rolfe, un « double » un peu de mauvaise foi, dont les pauvres tourments métaphysiques et existentiels (pourquoi lui et pas moi ? etc) deviennent vite irritants.
Peut-être qu’un narrateur moins impliqué et tout aussi onniscient aurait été approprié : mais alors l’auteur aurait dû imaginer d’autres trucs pour ne pas compromettre le suspense d'une histoire qui, sans le contre-chant « policier », risquerait à chaque instant de tomber dans le psycho-sociologique des plus menaçants – voilà pourquoi, dans le doute, mieux vaut supporter la voix de Rolfe, avec ses occasionnelles banalités (comme la chute de grand style à la toute dernière ligne : « L'histoire sera finie. Sauf que je continue »).
Nonobstant ces petites remarques, ça reste un super roman, très bien écrit. Il se lit d’une traite, toujours et partout, en exploitant chaque parcelle de temps disponible de la journée.
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