Une mère laisse à la campagne ses deux jumeaux bien-aimés à sa propre mère, insultante, cruelle et incapable apparemment de prodiguer amour et compassion à deux jeunes enfants, dans un contexte d'occupation sans nom propre, ni de nationalité, ni de langue. Les personnages mêmes sont désignés par des sobriquets, des substituts lexicaux.
A une vitesse étonnante, les deux garçons comprennent qu'il faut s'adapter à cette nouvelle situation et se livrent à des exercices d'insultes, de coups, de jeûne, d'immobilité, de surdité, et s'adaptent aux êtres et aux situations avec un curieux mélange de cruauté et d'empathie qui leur permet de tirer leur épingle du jeu et d'être témoins des pires choses sans un battement de coeur supplémentaire.
Ce récit est un mystère pour moi : cette adaptation de jumeaux plus forts d'être deux et complètement uni(s)-ques m'a fait parfois penser (et leur réaction au retour de leur mère, puis de leur père, me l'a confirmé) qu'ils portaient en germe l'indifférence dure qui a fait de leur grand'mère ce qu'elle était et reconnaître leur vraie nature. Je veux bien que ce soit une réponse à un traumatisme mais...
La voix d'Eric Herson-Marcarel, par laquelle j'ai découvert ce récit, était idéale : à la fois douce et calme, égale, elle accompagnait l'incroyable détachement des enfants et faisait ressortir les péripéties ahurissantes qu'ils traversaient puis provoquaient. La forme de l'audio-book, pour ce roman, était possible et même souhaitable car, ce qui m'aurait agacée à la lecture visuelle, le maniérisme qui consistait à mal écrire les répliques en les faisant toujours précéder "il dit :" "nous disons :" "elle dit :" aidait ici à la compréhension.
Je ne comprends pas comment l'Inspection Générale a pu se laisser aller à conseiller dans les I.O. aux enseignants de faire lire ce genre de récit à des Lycéens de Seconde ; le clash était inévitable. C'est tout sauf de la littérature de jeunesse.

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oui mais au lycée on est justement censé passer à autre chose...

La littérature de jeunesse va des albums pour la maternelle à des textes autrement plus ambitieux que Harry Potter, le facteur de "progrès" étant censé être la difficulté croissante de la structure narrative ou des enjeux thématiques, pas de choquer de plus en plus le jeune lecteur ou de lui faire découvrir de plus en plus de pratiques sexuelles :
Moi, en tout cas, je ne conseillerai pas "Le Grand Cahier" à quelqu'un qui ait moins de 17 ans.

En plus de ce que tu cites, il me semble qu'il y a au moins une scène de sado-masochisme insoutenable.
Je suis entièrement d'accord avec toi pour dire que les lycéens sont trop jeunes pour le lire. On pourrait à la grande rigueur le proposer individuellement mais certainement pas à une classe (Cela dit arrêter un professeur pour ça m'a toujours paru excessif, et j'ignorais que l'inspection le conseillait...).
Il y a dans la littérature suffisamment d'œuvres intéressantes et enrichissantes pour n'avoir pas besoin de faire appel à des romans qui peuvent choquer, pour ouvrir l'esprit des jeunes. (Un professeur m'a conseillé de lire Germinal en troisième, je me suis arrêtée à la scène du viol, et il a fallu que mon mari me conseille Pot-Bouille, alors que j'avais 22 ans, pour qu'enfin je lise Zola...)
Je te conseille de lire (ou écouter -moi je n'aurais pas la patience) les deux autres tomes de la trilogie, qui jettent un regard un peu déstabilisant sur ce premier tome.

Je me souviens que mon professeur de Français de seconde nous avait conseillé ce livre comme lecture, et je ne l'en remercierai jamais assez. J'ai lu ce roman deux fois, et je le trouve absolument génial. J'avais pourtant quinze ans, et ça ne m'a pas particulièrement choqué. Au contraire, j'ai découvert qu'en littérature, on pouvait se permettre de tout dire sans pour autant faire de la provocation à deux balles.

je suis bien placée pour savoir qu'il y a de très bonnes choses en littérature jeunesse et qu'on peut s'en délecter la vingtaine bien tassée ^^
d'ailleurs, tiens tiens, il y a une certaine forme de littérature jeunesse qui dérange pour ne citer que les œuvres de Burgess (Junk, ou Lady : ma vie de chienne) ou je mourrai pas gibier de Guillaume Guéraud. Les filles, dans mon quartier adorent se jeter sur les témoignages ou biographies du type Brulée vive. Qui n'a pas été attiré au collège/Lycée par l'herbe bleu ? Sous le règne de Bone ? Christiane F 13 ans droguée prostituée ? Qui n'a pas feuilleté un Sade ?
Je ne dis pas qu'il faut à tout prix faire étudier le grand cahier mais je ne vois pas pourquoi il ne faudrait pas le faire. Je doute que le professeur qui choisit cette ouvre le fasse par pure provocation et je pense qu'il ne l'aborde pas n'importe comment. Au lycée en matière de littérature on en a déjà vu/lu des vertes et des pas mures qui peuvent toutes être choquantes au niveau individuel.
D'ailleurs, ce genre de lecture, est ce que ça ne vaut pas mieux accompagné que seul, avec dans les mains des éléments de compréhension pour comprendre que tout ça n'est pas gratuit?

De quoi au juste veut on protéger les lycéens ?

Edité : pour ajouter qu'en cours de littérature un livre est bien sûr choisi pour sa valeur littéraire et non pas pour sa valeur provocatrice. Il me semble que la valeur littéraire du Grand Cahier est reconnue.