S'inspirant de sa propre expérience en tant qu'étudiant français en Virginie lorsqu'il avait 18 ans, Philippe Labro oscille entre réalité et fiction pour nous conter une année dans une grande université américaine en plein coeur des années 50 à travers les yeux d'un adolescent (qui s'appelle également Philippe) fasciné par ce pays qui était à l'époque un symbole de liberté et de culture. Cet "étudiant étranger" découvre la société américaine en profondeur, ses codes, ses us et coutumes, sa mentalité. D'autant plus forts qu'ils ont pour décor le Sud des Etats-Unis, où la tradition a toujours plus d'ascendant sur ses habitants. La société américaine, en tout cas l'Amérique "mainstream", celle qui est à la source du rêve américain, est cristallisée dans l'université que rejoint le héros, et notamment le besoin des Américains d'appartenir coûte que coûte à un groupe, un clan, une fratrie. Chaque personne appartient à une étiquette, et doit par là obéir aux règles qui en découlent. Le héros découvre également cette façon particulière qu'ont les Américains de savoir vivre avec des dogmes très forts et une liberté (illusoire?) qu'ils revendiquent dans leur façon d'être. En intégrant cette université, l'adolescent intègre le rêve américain lui-même, il vit dans un symbole.
Pourtant, il va très vite voir que ce rêve repose sur des dommages collatéraux qu'on tente d'étouffer. Tout d'abord avec le suicide de Buck Kuschnick, dès le départ, qui révèle les failles d'un système qui laisse les plus faibles disparaître sans qu'il s'en soucie. Puis il va sortir de ce rêve, et découvrir la réalité qui existe en dehors des murs de la faculté. Il y découvre le racisme encore coutumier à cette époque, à travers les yeux d'April ; il apprend que tous les jeunes ne vont pas à l'université, et seront donc condamnés à subir une vie misérable, grâce à Abigail ; il voit enfin les effets néfastes du système sur une personne qui a la clairvoyance du jeu hypocrite qu'est la vie des jeunes, en rencontrant Elisabeth. Autour de ce symbole de gloire, l'Amérique est entourée de ses parias, ses rejetés, ses victimes.
"L'Etudiant étranger" renoue aussi avec la tradition du roman initiatique classique. À travers ce voyage, le jeune héros va vivre ses premières fois importantes, celles qui nous marquent tout au long de notre vie. Premier baiser, première expérience sexuelle, première rencontre artistique (William Faulkner), découverte de l'homosexualité, mais aussi première confrontation à la mort, à l'amertume d'une jeunesse désabusée, à l'injustice. L'adolescent entre aux Etats-Unis comme dans l'adolescence, en terre inconnue, où tout est à découvrir. Parallèlement, l'Amérique que le jeune homme expérimente découvre elle-même la force de cet âge. Avant la révolution que sera les années 60, on sent les prémisces d'une nouvelle culture qui pointe son nez, une culture faite par et pour les jeunes. Arrivent la même année (1954) "L'Attrape-coeurs" de J.D. Salinger, Elvis Presley et James Dean, tous trois figures mythiques de l'affirmation des adolescents comme catégorie sociale à prendre en compte, coincée entre une enfance étriquée et un âge adulte enseveli sous les responsabilités. Avec "L'Etudiant étranger", Labro a réussi à capter le moment précis où le XXème siècle a basculé vers la société dans laquelle nous vivons maintenant.
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