Il est intéressant de lire "Ma cousine Rachel" après avoir découvert "Orgueil et préjugés". Car Daphne Du Maurier a, sans le savoir, écrit le contraire exact du chef d'oeuvre de Jane Austen. Si les défauts de l'héroïne Elizabeth, énoncés dans le titre, l'empêche de s'ouvrir dès le départ à l'amour de Darcy, c'est bien les erreurs inverses qui amènent Philip à s'éprendre de la mystérieuse Rachel. Il aurait effectivement dû rester camper sur ses premières impressions et faire confiance aux préjugés qu'il avait à l'encontre de sa cousine, et c'est également un manque de dignité qui fait de lui un amoureux transi sans une once de discernement. Ce n'est pourtant pas les indices quant à la vraie nature de la belle qui manqueront autour de lui : suspicion de son cousin, avertissement de Louise, son amie d'enfance, ou la mauvaise impression que lui fait Rainaldi, complice de Rachel à la présence dérangeante.
Ici Daphne Du Maurier oppose clairement l'amour à la clairvoyance, et démontre que s'amouracher d'une personne conduit irrémédiablement à la perte de la victime. C'est une thèse que l'auteure défendait déjà dans "Rebecca", avec lequel "Ma cousine Rachel" partage de nombreux points communs : une immense demeure isolée qui rappelle Manderley, un fantôme qui hante sur notre couple, une idylle qui naît à l'étranger, un secret qui remettra l'histoire d'amour en cause... Du Maurier continue de rendre hommage au grand roman victorien dans sa veine gothique.
Si on ne peut s'empêcher de remarquer que le roman accuse quelques longueurs, on ne peut que compatir et même prendre en pitié ce pauvre innocent qui se fait prendre facilement dans les filets de cette veuve empoisonnée. La narration à la première personne, qui nous dévoile l'histoire du point de vue de Philip, amènera le lecteur à réagir différemment selon sa sensibilité. Il aura tendance à le condamner et à le considérer comme un idiot s'il pense que le héros s'est trompé depuis le départ. Il espèrera une issue heureuse (ou bien Ambroise s'est trompé et Rachel est une femme innocente, ou alors Philip se rendra compte assez vite de son erreur de jugement) s'il suit la logique du héros à la lettre. Comme on pensait que Darcy était un homme arrogant et immoral, pour découvrir qu'il était un homme droit et aimant, Rachel incarne l'être mystérieux qui change d'aspect au fur et à mesure de l'intrigue, passant de la femme douce et intelligente à un monstre de cupidité et de froideur. Daphne Du Maurier, ou le côté sombre de Jane Austen.
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