A la relire après une longue absence du site, je me rends compte qu'une certaine rapidité d'expression maladroite a pu faire paraître cette note de lecture comme inspirée par de l'antipathie à l'égard des Russes, voire presque par du racisme. Je clarifie donc ma pensée sur des sentiments tout opposés.
Premièrement: Je suis entièrement d'accord avec Michmaa sur la spécificité de l'histoire du peuple russe, et j'avais à l'esprit une longue durée qui aurait pris en compte aussi, sinon la vulgate contre la dynastie Romanov, par ex. l'illuminisme "par le haut" de Pierre le Grand. (Pas très différent de celui d'un Léopold d'Habsbourg-Toscane, me direz-vous? Mais si, mais si, quand même...).
A ce sujet je songe à une conversation avec une très chère amie russe (une angliciste au demeurant, pas une historienne ou une politologue) qui me disait justement, sur un ton peiné: "Pourquoi n'avons-nous [les Russes] pas eu une Histoire plus proche de celle des autres peuples européens? Pourquoi sommes-nous tombés si souvent dans les extrêmes et dans le despotisme?"
Deuxièmement: si tu faisais allusion à Politovskaia en parlant de "courageux journalistes opposants assassinés", chère Swann, (et pourquoi ne pas la citer expressément?), à mon tour d'être surpris par ce contre-argument, sachant que cette journaliste de mérite était beaucoup plus populaire à l'étranger que dans son pays. Donc pas forcément représentative...
Troisièmement: "fabuleuse aspiration à la démocratie" en 1917? Ah bon?! Nous devons avoir sans doute des références différentes. Pour ma part je citerai, là sans trop réfléchir, les mémoires de Trotzky et Le Docteur Zivago de Pasternak: les deux, dans leur différence ne fût-ce que de genre, ne pouvant certes pas être soupçonnées d'a priori anti-Octobre. Or il me semble que l'aspiration, certes idéaliste, fut chez les principaux impliqués de nature à souhaiter la dictature du prolétariat et non la démocratie, la révolution par le rôle indiscutable du parti (comme instrument de prise de conscience de classe par le peuple, d'autant plus en Russie!). Il me semble que l'idée d'associer le syntagme démocratie au marxisme-léninisme ne date que d'après 1945, avec les dénommées "démocraties populaires", dont on pourrait longuement discuter...
Quatrièmement: je souris gentiment chaque fois que certains humanistes occidentaux (les Français surtout mais pas eux seuls) ont l'air de confondre leurs propres voeux, projections et représentations de la politique (pour eux) étrangère, avec les choix réels des peuples concernés (pour qui elle ne l'est pas, étrangère, cela va sans dire). (Eh oui! il faut bien avoir recours à la métaphore du "corps politique" - Hobbes - , comme si le peuple était un seul homme, sinon comment justifier et les élections et les révolutions...?) Ainsi, les Français ont été surpris, incrédules et choqués lorsque les Américains ont élu de nouveau M. Bush (à la seconde élection, celle qui n'était même pas truquée...), ou lorsqu'ils ont vu l'excès de bienveillance des Chiliens pour Pinochet, ou lorsqu'ils ont assisté aux hésitations des Italiens entre le "preux" Prodi et le "fasciste" Berlusconi (cet attribut vient aussi de l'Hexagone et, à son tour, choque et irrite les Italiens, surtout de gauche), etc. etc. etc... et là idem avec M. Poutine... Non que je sois un sympathisant même d'un seul des personnages cités ci-dessus...
Enfin: sommes-nous vraiment sûrs de ne pas pécher d'un ethnocentrisme paternaliste lorsque nous évoquons encore et toujours la manipulation de la presse des autres, sa désinformation qui empêcherait l'esprit critique chez les "pauvres" étrangers? Et ceci surtout à l'époque et avec les moyens d'internet? Et sans compter avec notre propre presse qui, ne fût-ce que pour de simples raisons d'espace journalistique, doit sans cesse opérer des simplifications manichéennes au point d'en venir à prendre parti pour ou contre un gouvernement, un homme politique, une partie en conflit, sans rendre justice à des situations necessairement plus complexes (comme c'est le cas de la question turco-kurde par les presses d'Europe occidentale, par ex)? N'y a-t-il pas dans cette suffisance quelque chose d'encore plus "étrange" que dans mes propos peut-être maladroits?