Par les froids qui courent, on entre avec bonheur dans un roman de Simenon (1903-1989) comme on se glisse avec délectation dans une paire de charentaises. L'histoire est simple, l'intrigue est molle mais l'atmosphère, la psychologie et les dialogues, volatiles par essence, ont une densité remarquable. "L'enterrement de Monsieur Bouvet", publié en 1950, ne déroge pas à la règle.
Sur les quais de Seine, à Paris, Monsieur Bouvet, paisible retraité sans attache, décède subitement. Le journal se fait l'écho du fait divers. Commencent par affluer des personnes se reconnaissant liées au défunt : sa femme, sa fille et son gendre, un associé d'une mine d'or au Congo belge, une ancienne maîtresse, sa soeur, un agent de l'Intelligence Service... Les identités du mort défilent à leur tour : René Bouvet s'appelle Samuel Marsh puis Gaston Lamblot alias Corsico. Une vie d'aventurier anarchiste s'esquisse alors à mesure que l'inspecteur de police Beaupère enquête, armé de son opiniâtreté et de ses cachous.
Simenon met toujours en avant des détails significatifs qui relient les personnages aux lieux, aux atmosphères et aux sensations. Tout son art tient à la véracité du détail, un fragment du réel qui donne corps au récit.
"Le soleil se répandait, gras et luxuriant, fluide et doré comme une huile, mettant des reflets sur la Seine... une vie sourde, juteuse, émanait de la matière, les ombres étaient violettes... les taxis plus rouges sur le pont blanc et les autobus plus verts. Une brise légère... un frisson... voluptueux, une haleine rafraîchissante qui soulevait les gravures épinglées aux boîtes des bouquinistes."
Le matin d'été, à la fin des années quarante, sur les quais de Paris, est rendu avec sensualité, vraisemblance et poésie. L'atmosphère estampillée Simenon est une marque de fabrique inimitable. Son univers est hors de l'espace et du temps, en apesanteur, compréhensible et apprécié par un Européen, un Asiatique ou un Américain. Que penser alors de la profusion de son oeuvre ? Si les 193 romans et les 158 nouvelles écrits entre 1931 et 1972 ont établi sa réputation mondiale, restent 900 articles publiés dans les gazettes, un millier de contes, bluettes et folleries destinés aux magazines populaires, 200 romans pour les collections bon marché, 30 reportages et relations de voyage pour la grande presse, 21 volumes de dictées, des conférences, des textes autobiographiques, des essais, des préfaces, des hommages non recensés. L'ex-libris du grand Sim est : "Comprendre et ne pas juger".
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