1. [Deux extraits des Conclusions et recommandations du Conseil Consultatif National d’Éthique (CCNE) saisi en 2012 par Roselyne Bachelot, ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, sur la question de l'accompagnement sexuel des personnes handicapées (saisi une nouvelle fois en février 2020)]
« Une formation appropriée est nécessaire. - Il convient de promouvoir la formation du personnel soignant et éducatif tant sur la question de la sexualité que sur le questionnement éthique et de se préoccuper de leur soutien. Cette formation doit avoir un côté "technique" comme faciliter le contact des personnes handicapées physiques, faciliter l'accès à des moyens mécaniques de satisfaction sexuelle. Elle doit déboucher sur une éducation adaptée à la spécificité de chacun, dans le respect de son intimité et de son souci de discrétion.
[…]
On ne peut évacuer la difficile question de l'instrumentalisation, même consentie, rémunérée ou compassionnelle du corps d'une personne pour la satisfaction personnelle d'une autre. Il ne peut être considéré comme éthique qu'une société instaure volontairement des situations de sujétion même pour compenser des souffrances réelles. Le CCNE considère qu'il n'est pas possible de faire de l'aide sexuelle une situation professionnelle comme les autres, en raison du principe de non-utilisation marchande de corps humain. » (pp. 152-153)

2. [Guillaume in : Chap. VIII, « Une expérience interdite »]
« J'étais en train de me réconcilier avec mon handicap, grâce aux soins, à la kinésithérapie et à mon implication dans le service civique, qui me permettaient de faire ce que j'aime. Je faisais de nouvelles connaissances, j'avais des relations sociales et je voyais à nouveau mes amis. Petit à petit, je me sentais donc mieux sur le plan social, amical et personnel, mais il me manquait encore quelque chose, un je-ne-sais-quoi d'indéfinissable, d'intime et d'inconnu. J'ai réalisé qu'il me manquait une sexualité. Je me sentais incomplet, lésé, privé de cet épanouissement. Il fallait que je passe un cap. Cette expérience ne pouvait que m'apporter davantage de confiance en moi. » (p. 121)

3. [Extrait du témoignage d'Alice, l'escort attitrée de Guillaume, sollicité par ce dernier]
« Je pense l'avoir aidé, ou au moins avoir contribué au bien-être de Guillaume, en étant dans l'écoute de soi, de l'autre, de ses désirs, en y mettant des mots dessus, en les exprimant sans honte ni peur. Mon corps a été un accessoire à la découverte, mon personnage une force pour le faire sourire et l'aider à se sentir bien, et surtout une communication forte a permis cet échange à deux. Il n'y a pas de mauvaises réponses, mais que de bonnes questions ! […]
L'échange, monétaire pour sa part et humain pour la mienne, fonctionne très bien dans ce cas-là ; c'est ce qui change beaucoup de choses et permet de rajouter tant de couleurs dans son existence, où des nœuds se sont démêlés. » (p. 175)

4. [Trois extraits de la Préface, par Cybèle Lespérance, s'exprimant au nom de l'Association Pour la Promotion de l'Accompagnement Sexuel (APPAS)]
« Il faut dire que l'accompagnement sexuel est un type de travail sexuel qui a la chance d'être assez peu stigmatisé. Il serait plus altruiste, utile, "propre", humaniste même. Certains affirment que ce serait plutôt un soin, au même titre qu'une visite chez le kiné ou l'ergothérapeute, et que ces rencontres intimes devraient être remboursées par la Sécurité sociale. Je conteste fermement ce point de vue qui médicalise une fois de plus le corps des personnes en situation de handicap. L'accompagnement sexuel n'a pas pour but de soigner, mais est plutôt une opportunité pour les bénéficiaires d'apprendre, d'expérimenter, de quitter un moment le "corps soigné" et d'apprivoiser un "corps de plaisirs". Ça n'est pas une thérapie en soi, même si je concède que le plaisir a des effets thérapeutiques. Il appartient à nos client.e.s d'intégrer ces nouvelles expériences et compétences, car en tant que professionnel.le.s, nous n'avons pas d'obligation de résultats. 
[…]
L'un des arguments en faveur de l'exception étant que les personnes handicapées ont plus besoin "d'affection et de toucher que de sexe", on peut imaginer que l'État définira les pratiques acceptables et tentera d'exclure la pénétration ou les champs des sexualités jugées déviantes, imposant des limites extérieures sous couvert de mieux savoir ce dont ont besoin les personnes et la sexualité qu'ils et elles ont le droit de vivre. Comment seront choisi.e.s et contrôlé.e.s les accompagnant.e.s sexuel.le.s dans l'intimité des pratiques ?
[…]
Rappelons enfin qu'il n'y a nul besoin de formation pour "sexer" avec des personnes en situation de handicap. Comme pour toutes les sexualités, on y tâtonne, on découvre et on s'apprivoise, on échoue, on se recentre, on est déçu, on expérimente, on est surpris, on communique et on donne et reçoit du plaisir. Comme Alice, beaucoup de mes collègues escorts ont des clients en situation de handicap sans avoir suivi de formation particulière. Le professionnalisme, la soif d'apprendre et l'attention aux besoins de l'autre ne sont pas l'apanage des seul.e.s accompagnant.e.s sexuel.le.s. Voilà ce que je réponds parfois avec un peu de malice aux personnes qui me disent que c'est "trop bien" ce que je fais : "Vous aussi, vous pouvez le faire !" Baiser avec des handicapés est à la portée de tout le monde ! » (pp. 12-17)


La question fondamentale posée par ce récit autobiographique d'un jeune homme de 23 ans atteint d'infirmité motrice cérébrale congénitale et témoignant de ses expériences de sexe tarifé avec une escort – pratique actuellement illégale en France, mais réglementée dans d'autres pays européens et courante et médicalisée en Israël – est la suivante : la sexualité est-elle un droit ? Est-elle appelée à le devenir pour tous et toutes, et dans ce cas comment ce droit s'articulerait-il avec les normes législatives et éthiques relatives à la prostitution ? Et enfin, comment serait-il rendu compatible avec la problématique du consentement, des deux parties prenantes en réalité, mais surtout celui des bénéficiaires frappé.e.s de handicaps lourds et/ou mentaux, où le risque existe de circonvention d'incapable ?

Ces problématiques éthiques et juridiques compliquées n'émergent qu'en filigrane de ce récit frais, naïf et immensément touchant d'un garçon encore à l'aurore de sa vie d'adulte, mais déjà lourdement blessé par une série de difficultés motrices et d'expression, ainsi que par leurs répercussions psychologiques. On apprend ainsi, au détour de pages caractérisées par un ton timide, maladroit et allusif, les ravages d'une addiction alcoolique, ceux, encore plus ahurissants, de traitements médicamenteux en clinique psychiatrique suite à des comportements de mutilation, de prise de risque, voire suicidaires, et à un diagnostic de bipolarité sans doute hâtif ; un cadre thérapeutique et des traitements totalement inadaptés au jeune âge du patient. Nous faisons connaissance avec un garçon passionné de foot, qui commence à se découvrir grâce au service civique et qui est constamment l'objet de multiples suivis médicaux et paramédicaux, subissant des interventions chirurgicales pas toujours réussies, des séances de kinésithérapie presque quotidiennes, et mille autres consultations inégalement efficaces... Ses défis majeurs sont d'apprendre à regarder sa main gauche et ses jambes sans en avoir horreur, à nouer ses lacets et à déboucher une bouteille de vin tout seul. Enfin, à la moitié du livre, avec une pudeur toute juvénile, fait son apparition la problématique de l'accès à la sexualité, dans le contexte d'un dialogue compliqué avec ses parents, parasité surtout par des questions d'argent.
Le récit, précédé d'une excellente Préface, est chronologique, et à chaque introduction d'un nouveau personnage, à commencer par l'Assistante de vie scolaire et jusqu'à Alice, l'escort qui a une si grande importance dans la narration, Guillaume sollicite un texte venant de ces personnes qui ont compté dans son parcours ; ces textes confèrent une variété de perspectives et une candeur émouvante au texte. Celui-ci est suivi d'annexes correspondant au cheminement des recherches que l'auteur commence à effectuer sur les sujets annexes à son expérience, notamment la prostitution. Ainsi trouvons-nous :
- « Petite interview d'Alice par Guillaume Bourdiaux, "Parcours d'escort" »,
- de brèves définitions des termes du travail sexuel dans le chap. XI, « Au-delà du récit »,
- « Quelques chiffres sur la prostitution en France »,
- les résultats de la prise de contact avec deux associations en relation avec la prostitution : le Mouvement du Nid et Grisélidis,
- quelques informations sur la loi du 13 avril 2016 suivies de « Les 8 points clés de l'évaluation » (de celle-ci),
- une enquête sur cette loi conduite par Médecins du Monde
- « Les recommandations de la Fondation Scelles »
- dans le chap. XII, « Et maintenant ? », quelques extraits de lettres de réponse aux prises de contact de l'auteur avec des parlementaires français sollicités sur la question de la sexualité des personnes handicapées,
- Ibid. : le témoignage de la présidente de l'Association L'Amicale du Nid, et celui d'une psychologue en EHPAD qui conclut l'ouvrage sur l'analogie que comporte l'assistance sexuelle des handicapés avec la sexualité problématique des personnes âgées vivant en résidence médicalisée.

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