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[Petit Guide des religions à l'usage des mécréants | Ala...]
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Posté: Sam 05 Juin 2021 11:31
MessageSujet du message: [Petit Guide des religions à l'usage des mécréants | Ala...]
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[Petit Guide des religions à l'usage des mécréants | Alain de Botton]

Que d'énergie vaine et d'intelligence puérile les athées ont déployées afin d'infirmer la vraisemblance et la rationalité des credo des religions et de démontrer la simplicité benoîte des croyants ! Leurs efforts résultent en somme dans une société sécularisée en perte de sens, dont les membres sont globalement malheureux voire malades, et souvent dans le renforcement et la radicalisation desdites religions que l'on croyait déclinantes. Si chaque nouvelle religion a su piller et s'approprier si habilement les recettes culturelles, rituelles, spirituelles et temporelles voire même carrément politiques et organisationnelles précédemment en vigueur pour subvenir aux besoins profonds de ses fidèles et asseoir ainsi son autorité absolue, quelles sont ces nécessités injustement oubliées, inopportunément négligées ou hâtivement sacrifiées sur l'autel de la Raison, et quelles leçons pouvons-nous tirer des religions pour soulager les maux de l'humanité de façon laïque et non dogmatique ?
Autour de dix thématiques : I. « Sagesse sans doctrine », II. « Communauté », III. « Vertu », IV. « Éducation », V. « Tendresse », VI. « Pessimisme », VII. « [Remise en] Perspective », VIII. « Art », IX. « Architecture », « X. Institutions », et avec l'appui précieux, comme d'habitude, d'un riche et splendide appareil iconographique de grande intelligence, l'auteur déroule cette double démarche d'observation critique (des besoins individuels et des lacunes sociales) et de proposition (d'inspiration et de laïcisation voire de pillage de traditions et de pratiques religieuses) en s'inspirant principalement du judaïsme, du christianisme et du bouddhisme. À la toute fin de l'ouvrage, il inscrit son procédé dans l'héritage direct (mais lui aussi soumis à examen critique) d'Auguste Comte, ce « philosophe français visionnaire, excentrique et qui ne disposait que par intermittence de toutes ses facultés mentales » (p. 303)... qui se proclama « grand-prêtre » de la Religion de l'Humanité, qui aurait dû être financée et soutenue par la nouvelle aristocratie de son temps : les banquiers...
Dans le détail, voici une citation tirée de la conclusion qui liste les avantages à tirer des religions évoquées plus haut :
« […] comment engendrer des sentiments de communauté humaine, comment encourager la vertu, comment lutter contre le penchant actuel pour les valeurs commerciales dans la publicité, comment choisir des saints laïques et y avoir recours, comment repenser les stratégies des universités et notre façon d'envisager l'éducation cultuelle, comment revoir la conception des établissements hôteliers, comment mieux reconnaître nos propres besoins enfantins, comment renoncer à une partie de notre optimisme contre-productif, comment acquérir un sens des proportions à travers le sublime et le transcendant, comment réorganiser les musées, comment utiliser l'architecture pour préserver les valeurs – et, enfin, comment unir les efforts dispersés d'individus soucieux du soin des âmes et les organiser sous l'égide d'institutions. » (p. 314)
À mon sens, fatalement, la partie propositive de chaque thème est plus embryonnaire que la partie descriptive, en dépit de l'effort évident de fournir des recettes le plus possibles concrètes, empiriques et parfois immédiates d'application en apparence. Parfois, ces recettes ont l'inconvénient de ne rien remettre en cause du système productiviste, et par conséquent de prétendre soigner des maux créés par le capitalisme en en augmentant encore l'envergure d'application : dans le secteur du tourisme et de l'hôtellerie, ses recettes risquent d'être très vite appliquées effectivement, mais sans doute non sans le détournement habituel que le capitalisme opère du spirituel et du transcendant !
Toutefois, les mérites évident de cet essai, outre l'érudition, l'humour et la verve habituels, résident dans son habileté à établir des ponts parfois surprenants entre une façon de penser et d'agir dérivées des traditions religieuses, et des problématiques psychologiques et sociologiques plutôt évidentes : je pense particulièrement à la fonction des arts, de la littérature et plus particulièrement de leur enseignement. Je me demande enfin si, comme l'auteur le regrette au sujet d'Auguste Comte, le péril intrinsèque d'indisposer à la fois les croyants et les athées qu'il semble redouter dans sa démarche ne relève que d'une tentative de captatio benevotentiae, ou s'il a effectivement un fondement objectif. Personnellement, je me sens dorénavant totalement acquis à la cause...


Cit. :


1. « Mais, sous la gaieté [des cérémonies religieuses], il y a souvent aussi un noyau de tristesse chez les personnes au centre du rituel, car elles renoncent probablement à une certaine liberté ou à un certain avantage pour le bien de la communauté dans son ensemble. Le rituel est en vérité une forme de compensation, un moment de transition où la perte peut être adoucie et digérée.
On ne peut guère assister à la plupart des mariages sans se rendre compte que ces célébrations marquent aussi à quelque niveau une perte, l'enterrement d'une liberté sexuelle et d'une curiosité individuelle afin de pouvoir avoir des enfants et une stabilité sociale, perte à laquelle la communauté répond sous la forme compensatrice de cadeaux et de discours. » (p. 60)

2. « Le point de vue religieux sur la morale suggère que c'est au fond un signe d'immaturité de refuser trop énergiquement d'être parfois traité comme un enfant. L'obsession libertaire de la liberté ignore à quel point notre besoin originel de contrainte et d'assistance persiste en nous, et donc tout ce qu'on peut apprendre des stratégies paternalistes. Il n'est pas très charitable, ni même finalement très libérateur, d'être jugé assez adulte pour être laissé libre de faire entièrement ce qu'on veut. » (p. 96)

3. « Dans la sphère profane, sans doute lisons-nous les bons livres, mais nous évitons trop souvent de leur poser des questions directes et suffisamment communes, néo-religieuses, parce que nous sommes gênés de reconnaître la vraie nature de nos besoins intimes. Nous sommes fatidiquement épris d'ambiguïté, acceptant sans sourciller le dogme moderniste selon lequel le grand art ne doit pas avoir de contenu moral ni le désir de changer son public. Notre résistance à une méthodologie parabolique vient d'une confuse aversion pour l'utilité, le didactisme et la simplicité, et de la croyance incontestée que tout ce qu'un enfant pourrait comprendre est nécessairement puéril. » (p. 118)

4. « Si le pessimisme pascalien peut nous consoler efficacement, c'est peut-être parce que la vraie cause de notre morosité n'est généralement pas tant la négativité que l'espoir. C'est l'espoir – relativement à notre carrière, à notre vie amoureuse, à nos enfants, à nos dirigeants politiques et à notre planète – qui est le grand responsable de nos colères et de notre amertume. L'incompatibilité entre la noblesse de nos aspirations et la médiocre réalité de notre condition engendre les violentes déceptions qui nous tourmentent et qui se gravent en sillons d'acrimonie sur notre visage. » (p. 182)

5. « C'est un des désastres imprévus de l'époque moderne que notre accès sans précédent à l'information ait été obtenu aux dépens de notre aptitude à nous concentrer sur l'essentiel. La profonde réflexion qui a produit beaucoup des œuvres les plus importantes de la civilisation est plus menacée qu'elle l'a jamais été. Nous ne sommes jamais loin de quelque machine qui nous garantira une fascinante et voluptueuse évasion de la réalité. Les sentiments et les pensées que nous avons omis d'éprouver et d'approfondir en regardant nos écrans se vengent sous la forme de tics nerveux et d'une difficulté croissante à trouver le sommeil quand il le faudrait. » (p. 267)

6. « C'est un aspect singulièrement regrettable du monde moderne que, alors que certains de nos besoins les plus futiles (de shampooing et de crème hydratante, par exemple, ou bien de sauce à pâtes et de lunettes de soleil) sont satisfaits par des marques extrêmement bien gérées, nos besoins essentiels soient laissés au soin désorganisé et imprévisible d'acteurs isolés. Pour avoir une éloquente illustration des effets pratiques de l'image de marque et du contrôle de qualité qui l'accompagne généralement, il suffit de comparer le domaine fragmenté et très variable de la psychothérapie avec le rituel élégamment exécuté de la confession dans la religion catholique. La confession, bien réglée dans tous ses détails depuis la fin du XIVe siècle grâce à une succession d'ordonnances papales et de manuels publiés par le Vatican, est un exemple du genre de service fiable qui n'allait devenir la norme pour les biens de consommation que vers le milieu du XXe siècle. Tout, de la disposition du confessionnal jusqu'au ton de la voix adopté par le prêtre, est gouverné par des règles explicites, destinées à assurer à tous les catholiques, de Melbourne à Anchorage, que leurs attentes relatives à un examen rédempteur de leur âme ne seront pas déçues. Rien de tel n'existe pour notre plus proche équivalent profane. » (p. 290)

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