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[L'Art du voyage | Alain de Botton]
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Posté: Mer 09 Juin 2021 22:44
MessageSujet du message: [L'Art du voyage | Alain de Botton]
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Je ne fréquente pas beaucoup la littérature de voyage ; sans doute devrais-je le faire davantage. Pourtant, dans les œuvres littéraires comme dans les reportages d'exploration, je crois saisir que le surcroît d'intelligence des lieux et des circonstances, avec ou sans l'appui des récits des péripéties et découvertes des précurseurs, est proportionnel à l'ampleur de la motivation qui anime leurs auteurs. Parfois même proportionnel à leur hardiesse à surmonter obstacles et périls. Cet ouvrage est un essai sur les raisons – « soulev[ant] naturellement un certain nombre des questions ni si simples, ni si futiles que cela » – qui peuvent être invoquées par les voyageurs. Dans un catalogue étonnement exigu de « lieux », destinations tour à tour lointaines ou tout à fait proches, l'auteur se pose en situation dialogique avec un ou plusieurs « guides », mais ce qui est remarquablement original et toujours aussi bluffant chez lui, c'est qu'il n'est pas sûr que ni lui-même ni ses guides ne soient animés par une très grande conscience pas plus qu'une exemplaire ferveur par rapport à leurs attentes de l'ailleurs...
Dans le meilleurs des cas, dans ce dialogue, l'un s'oppose à l'autre, ce qui donne, en conclusion, une légitimité pleine et entière à la démarche de Xavier de Maistre (cit. en excipit) de pratiquer le « voyage autour de [sa] chambre » et de s'abstenir du voyage avec déplacement physique.
Il est de même du premier « guide », dans le chapitre « De l'anticipation » où l'auteur se rend à l'île caribéenne de la Barbade en plein spleen hivernal londonien, guide qui n'est autre que J.-K. Huysmans ; dans son roman intitulé : À rebours, son héros, le duc des Esseintes, misanthrope et casanier, fournit une foison d'excellentes raisons de ne pas céder à l'attrait illusoire que comporte la perspective du voyage ! L'auteur lui-même, sous de tels auspices, finit par effacer instantanément de sa mémoire la plupart des images qui eussent pu être marquantes et roboratives grâce à ce dépaysement climatiquement propice.
Autant se contenter de la fascination des lieux qui symbolisent ou incarnent le voyage (ch. II) : la station-service, l'aéroport, l'avion, le train, en compagnie de Baudelaire – un peu – mais surtout des tableaux d'Edward Hopper qui les a si souvent et si joliment représentés, toujours en y associant ce sentiment d'extrême solitude qui caractérise son œuvre.
Le premier motif de voyage qui vient à l'esprit, c'est sans doute l'exotisme (ch. III). Pour Flaubert (et les autres orientalistes de son époque), l'exotisme c'est « l'Orient », pour de Botton, c'est Amsterdam : les deux donnent donc à cette notion un sens que le lecteur trouvera nécessairement très subjectif, et c'est sans doute le but recherché (afin de le discréditer).
Le deuxième motif, c'est « De la curiosité » (ch. IV). L'auteur s'attarde à Madrid en marge d'un colloque et peste contre les monuments objets d'intérêt imposé par les guides touristiques, tandis que son guide spirituel est Alexander von Humboldt qui, en 1799, est en fervente exploration du continent sud-américain, en particulier de la flore amazonienne. La curiosité est souvent et malheureusement celle d'autrui, semble conclure le chapitre.
Les deux chapitres suivants se penchent sur la modernité du thème des paysages. Le poète pré-romantique anglais William Wordsworth, habitant et décrivant la nature (et ses plus menus détails) de sa région des Lacs (« Lakes District »), après avoir essuyé une terrible campagne de dénigrement et de sarcasmes initiée par Byron, assista de son vivant à un renversement absolu du goût de ses contemporains, qui embrassèrent sa cause (rousseauiste) des bienfaits de la campagne et des méfaits de la ville sur l'âme et su ruèrent vers le Lakes District (comme il le font toujours). C'est dans ce même cadre que se trouve l'auteur, dont on ne comprend pas assurément jusqu'à quel point il se montre réceptif à l'enseignement de Wordsworth...
Le paysage, c'est aussi le « Sublime », notion qui se développe également en Europe au XVIIIe siècle. De Botton se rend au désert du Sinaï, avec dans sa besace Edmund Burke (Une étude philosophique de l'origine de notre conception du Sublime et du Beau) et naturellement le récit biblique de Job.
Mais le paysage semble demeurer en grande partie muet s'il n'a pas été révélé préalablement par l'art : l'auteur se rend en Provence (ch. VII), sur les traces de Van Gogh. Une question complémentaire à la perception visuelle de la beauté grâce à l'art s'avère être celle « De la possession de la beauté ». Un étrange penseur anglais du début du XIXe s., John Ruskin, préconise la pratique du dessin pour tout un chacun, sans aucune velléité artistique, afin d'apprendre juste à observer ce qui nous entoure « structurellement » (dirait-on 150 ans plus tard) ; et ses croquis où la nature est psychologisée peuvent aussi prendre la forme de la « peinture verbale ». L'auteur – qui par ailleurs utilise moins que d'habitude ses belles photographies dans ce livre, en privilégiant les reproductions de toiles pour ses illustrations tout aussi nombreuses – s'y essaie un tout petit peu près de chez lui, autour des West India Docks.
Le chapitre conclusif (IX ; « De l'habitude »), placé quasiment sous l'exergue de la terrible pensée pascalienne : « Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre » (p. 282), ne peut ne pas être interprété comme une tentative de placer sur le même plan l'entreprise d'Alexander von Humboldt déjà citée et le Voyage autour de ma chambre de Xavier de Maistre : une photo sur double page du lit et partie de la bibliothèque attenante de l'auteur y trouve sa place, ainsi que la tentative (très ratée!) de décrire son quartier d'un œil vierge s'efforçant d'y trouver un intérêt...
Bon, j'ai l'impression qu'il manque vraiment l'essentiel à cette démonstration.


Cit. :


Excipit : « Nous rencontrons des gens qui ont traversé des déserts et des banquises et se sont frayé à grand-peine un chemin à travers des jungles sauvages – et pourtant dans les âmes desquels on chercherait en vain une trace de ce qu'ils ont vécu. Vêtu d'un pyjama rose et bleu, satisfait des limites de sa propre chambre, Xavier de Maistre nous encourage discrètement à essayer, avant de partir pour de lointaines contrées, de remarquer ce que nous n'avons fait que voir. » (pp. 293-294)

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