Voici un livre qui m'a dégrisé durablement de mon euphorie béotienne par rapport à la perspective de la transition énergétique, à ce que la révolution numérique promettait de dématérialisation, en bref vis-à-vis de toute mutation écologique. L'essai a deux thèses à démontrer :
1. que toutes les technologies que nous envisageons actuellement comme étant vertes, « décarbonnées », visant à sortir des combustibles fossiles ainsi qu'à promouvoir le numérique dans toutes ses innombrables applications, sont irrémédiablement tributaires des métaux rares, véritables matières premières de la nouvelle révolution industrielle (à l'instar du charbon au XIXe s. et du pétrole au XXe.), lesquelles, outre que « rares » donc peu durables (sustainable), ont un impact environnemental exécrable tout au long de leur cycle de vie (mais particulièrement lors de l'extraction et de l'éventuel recyclage) ; accessoirement : ces métaux rares sont (actuellement) disponibles ou commercialement exploités dans un nombre extrêmement restreints de pays (USA, Brésil, Afrique du Sud, RD du Congo, mais surtout, pour la très grande majorité d'entre eux, et dans des proportions dépassant 95%, la Chine) ; d'où :
2. que la Chine, alliant à la chance de ses disponibilités minières une politique avisée et à long terme, une diplomatie agressive, d'immenses investissements et aussi une certaine « nonchalance environnementale » (!), a acquis désormais une telle suprématie mondiale non seulement dans la production des métaux rares, mais de toutes les technologies en aval de celle-ci, qu'il semble quasi inévitable qu'elle dominera allégrement l'ensemble de l'économie et sans doute aussi les technologies militaires de pointe du XXIe s., tout comme l'Empire britannique domina le XIXe avec son charbon et les États-Unis le XXe avec leur mainmise efficace (et encore prégnante) sur le pétrole.
Par conséquent, cet essai, très lisible malgré le foisonnement de données, de références, d'avis d'experts et possédant les caractéristiques de l'enquête journalistique, a, à parts égales, une double nature : écologique et géopolitique. Dans les deux versants, l'auteur est passablement alarmiste, même s'il laisse un soupirail d'espoir en fin d'ouvrage, consistant dans une possible prise de conscience occidentale, dans une invite à nous autres, Français et Occidentaux, à nous ressaisir de notre industrie minière (dans la mesure du possible), à relocaliser certaines productions stratégiques, et surtout à changer nos habitudes de consommation. Je précise que, de mon point de vue, la partie écologique de l'ouvrage a été beaucoup plus effarante, donc plus instructive, plus inductrice de réflexion que le partie géopolitique, inspirée d'une sorte de « néo-colbertisme » un peu trop simpliste, d'une antipathie anti-chinoise facile et à la mode, et surtout de l'insuffisante prise en compte de tous les facteurs systémiques qui influent dans les relations internationales (particulièrement en géopolitique).
En particulier, j'ai été atterré par le caractère totalement confidentiel des études sur l'impact environnemental, y compris sur le bilan carbone, de l'extraction de ces matières premières aux noms tout à fait imprononçables qui nous faisaient rire, adolescents, devant la table périodique des éléments ; ignorance délibérée et sans doute politique sur leur incroyable diffusion à la fois au cœur des objets qui nous sont devenus si familiers (nos voitures, nos téléphones portables, les circuits de nos appareils informatiques, les LED, tout ce qui contient des « super-aimants » c-à-d tout ce qui comporte des champs électro-magnétiques miniaturisés), sans parler de ceux qui nous sont « vendus » comme des promesses d'avenir : les éoliennes, les voitures électriques avec leurs infâmes batteries (dont nul ne parle de leur durée de vie ni de leur élimination en fin de cycle), les panneaux photovoltaïques, les réseaux électriques « intelligents » ; enfin sur la supercherie des perspectives du recyclage... : « comme l'admet un expert américain des métaux rares interrogé à Toronto, "il n'est dans l'intérêt d'aucun professionnel des énergies vertes de communiquer là-dessus... Tout le monde veut croire que nous améliorons les choses, pas que nous régressons, n'est-ce pas ?" » (cité p. 62). Vouloir croire, effectivement : voilà l'éternel problème !
Cit. :
« Le capitalisme, dont la résilience repose désormais sur l'avènement des technologies vertes et numériques, va devenir de moins en moins inféodé aux carburants des deux précédentes révolutions industrielles, et de plus en plus aux métaux de la transition qui vient. » (p. 39)
« […] une étude américaine a estimé que le secteur des technologies de l'information et de la communication (TIC) consommait 10% de l'électricité mondiale et produisait chaque année 50% de plus de gaz à effet de serre que le transport aérien. "Si le cloud était un pays, il se classerait au cinquième rang mondial en termes de demande en électricité", précise d'ailleurs l'organisation Greenpeace [...] » (p. 68)
« Notre dépendance à l'égard de la Chine, originellement cantonnée aux ressources, s'est étendue aux technologies de la transition énergétique et numérique qui en dépendent. "Sommes-nous dans un conflit non militaire ? La réponse est bien évidemment oui !" assure un expert américain des métaux rares. Et, à la question de savoir si nous sommes en train de gagner ou de perdre, un spécialiste minier français répond à brûle-pourpoint :"Nous sommes en train de ne même pas le livrer !" » (p. 159)
« Surtout, l'Empire du Milieu a pris le leadership d'un éventail impressionnant de technologies vertes. Loin de l'image de pays pollueur et pollué qui lui est traditionnellement associée, il s'affiche dorénavant comme le premier producteur d'énergies vertes au monde, le premier fabriquant d'équipements photovoltaïques, la première puissance hydroélectrique, le premier investisseur dans l'éolien et le premier marché mondial des voitures à nouvelles énergies. Pékin a également entrepris d'ériger un vaste réseau de "cités vertes" éco-responsables. » (p. 176)
« La réouverture des mines françaises serait même la meilleure décision écologique qui soit. Car la délocalisation de nos industries polluantes a eu un double effet pervers : elle a contribué à maintenir les consommateurs occidentaux dans l'ignorance des véritables coûts écologiques de nos modes de vie, et a laissé à des États dépourvus de tout scrupule écologique le champ libre pour extraire et traiter des minerais dans des conditions bien pires que si la production avait été maintenue en Occident.
À l'inverse, relocaliser les mines en France et en Occident pourrait générer deux effets positifs. D'abord, nous prendrions immédiatement conscience, effarés, de ce qu'il en coûte réellement de nous proclamer modernes, connectés et écolos. […]
Peut-être abandonnerions-nous aussi le sacro-saint dogme du pouvoir d'achat et accepterions-nous de dépenser quelques dizaines d'euros supplémentaires pour des téléphones un peu plus propres...
En d'autres mots, notre empressement à circonscrire la pollution serait tel que nos progrès environnementaux seraient fulgurants, et nos modes de consommation à tous crins fortement réduits. » (pp. 236-237)
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