Marius, tu nous fends le cœur !
Le jeune et beau Marius, désargenté, aux habits usés, hante le Jardin du Luxembourg depuis qu’il a croisé le regard de Cosette, en promenade sous l’aile de son père adoptif, Jean Valjean. Amoureux, il les file jusqu’à leur domicile mais Valjean remarque le manège et prend la tangente avec Cosette. Dépité, le jeune homme perd leur trace pendant plusieurs mois. Logé misérablement dans la masure Gorbeau, Marius épie presque malgré lui ses voisins tout aussi démunis qui ne sont autres que les Thénardier, échoués de Montfermeil à Paris. Le couple infernal, alerté par un bienfaiteur en qui ils reconnaissent l’homme qui leur a repris Cosette des années auparavant, décide de lui tendre un piège afin de le tondre et peut-être de l’occire si cela s’avère lucratif. Médusé, Marius commence à relier les différentes personnes entre elles et croit comprendre qui elles sont mais il ne fait qu’échafauder des chimères et ourdir malgré lui un piège particulièrement dangereux.
Arai Takahiro ne semble jamais marquer le pas et baisser les bras dans sa remarquable transposition en manga de l’œuvre romanesque monumentale de Victor Hugo. Il poursuit avec talent sa propre version des Misérables en collant à l’original mais en insufflant ses propres codes narratifs ainsi que sa culture nippone en filigrane. Par exemple, il excelle dans la mise en scène du grotesque inquiétant quand les Thénardier se drapent tels des bouffons vicieux d’une commedia dell’arte pervertie. Quant à l’histoire, elle demeure stupéfiante d’humanité corrompue par la misère. Soit l’homme s’envole vers la grâce, soit il chute vertigineusement et personne ne peut prédire quel sera le sens du mouvement, ascensionnel ou déclinant, avec quelle force. Comment ne pas être touché par l’amour impossible d’Eponine pour Marius ? Naguère pimpante à Montfermeil quand Cosette, loqueteuse s’escrimait pour les Thénardier, elle brave dans l’éclat de sa jeunesse et de sa joliesse la chute sociale et morale de sa famille, cultivant en secret un amour irrigué par l’abnégation et le dévouement. On peut aussi remarquer avec plaisir l’approche feuilletonnesque à la manière d’Eugène Sue et des Mystères de Paris faite par Victor Hugo quand il introduit la bande de voleurs et de coupe-jarrets, les Patron-Minette qui ne semble pas effaroucher Jean Valjean, hiératique et marmoréen face à l’adversité. La richesse du roman est inépuisable et le mangaka en restitue la substantifique moëlle.
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