Segalen royal.
Pierre angulaire et point d’achoppement, le tertre d’Huelgoat [la forêt d’en haut] semble constituer l’épicentre de l’essai que l’écrivain voyageur breton Jean-Luc Coatalem consacre à son homologue du siècle dernier, Victor Segalen. Les trois premiers chapitres redonnent vie aux derniers jours de Segalen gangrené par la neurasthénie. Sa mort orchestrée et son suicide maquillé montrent un esprit torturé et clinicien, lucide et désespéré qui fait froid dans le dos et en même temps ravive une aura ensevelie sous le suaire de l’oubli. Son œuvre est lacunaire et protéiforme, inachevée et en mouvement, confidentielle et universelle, labyrinthique et envoutante. Une fois lue, déchiffrée, ressentie, elle demeure inoubliable tout comme l’approche de cette mythique forêt d’Huelgoat du Finistère breton, hantée de chaos granitiques et pétrie de légendes. Il y a donc matière pour alimenter un essai qui d’emblée palpite et irradie. Coatalem écrit fraternellement à Segalen au-delà du temps et de l’espace et cette mise en écho résonne à l’unisson dans des harmoniques inouïes. L’essai de Jean-Luc Coatalem est inspiré et les similitudes dans l’art de sublimer la réalité par l’imaginaire ne suffiraient pas à insuffler l’élan créateur si les lieux parcourus par Victor Segalen ne continuaient à irradier une présence plus enfouie qu’enfuie qu’un regard éclairé peut aviver et enrichir : « Vous avez disparu et votre souvenir sur place aussi, enfin presque ». Entre la Polynésie et la Chine, hauts lieux du nomadisme sensuel et fantasmé de Segalen, Coatalem reprend les chemins de là-bas avec ferveur, sertissant ses parcours étoilés dans les tracés étincelants de l’illustre ainé. Même non initié, le lecteur est porté par la prose limpide et profonde de l’essai, le propos documenté mais expurgé, l’entrelacs subtil entre le rêve et le vécu, les passages du dehors au-dedans, les filets où passe la lumière.
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