D'un thriller, ce livre a assurément la morbidité des histoires de tueurs en série agrémentées de mutilations corporelles, peut-être de satanisme et sans doute de cannibalisme, ainsi que le suspense. En revanche, il ne l'est aucunement pour ce qui est du déroulement de l'enquête. Car si le lecteur connaît d'emblée l'exécuteur des actes de barbarie et de blasphème qui se succèdent avec une mécanique implacable, l'enquêteur, la juge d'instruction bien prénommée Belle, brille par son aveuglement, jusqu'à en subir sur elle-même les conséquences ultimes... [Pour cela et quelques autres raisons, je conteste résolument que ce roman soit féministe!] Cet aveuglement est surtout d'ordre érotique : on assiste à sa sujétion instantanée et durable par le criminologue, érudit bibliste moyen-oriental Soli Ghani, chenu et boiteux, mystérieux et manipulateur, qui semble se placer soi-même de façon très nietzschéenne « au-delà du bien et du mal ».
Une certaine lecture du livre, en vérité, pourrait le classer sous la rubrique « érotique » (sous-section : « sadomasochisme » !) plutôt que « policier ». Mais ce n'est probablement pas non plus l'interprétation la meilleure. Car si les exécutions se poursuivent et que Belle n'y comprend goutte – toute aux émois de sa libido chauffée à blanc – Ghani déroule sans cesse de très savantes exégèses bibliques et tout un savoir kabbalistique qui n'est pas là que pour éblouir la magistrate. Afin que le lecteur aperçoive le début d'un commencement de lien logique, symbolique, métaphysique (ou sorcier...) entre les élucubrations mystiques du vieil érotomane, les membres amputés des victimes du tueur, l'éventualité des relations de ce dernier avec une ou deux sectes de néo-païens et néo-templiers, et surtout l'actualité du 11 Septembre, qui est en filigrane mais toujours bien rappelée, il faudrait qu'il fût au moins aussi érudit que Tobie Nathan ! Et le révéler ou l'expliciter, ce lien, avant la chute du roman, la dernière des félonies...
Je me contenterai de remarquer que, ayant reconnu tout au long des propos décousus (ou non ?) de ce mystérieux personnage principal un certain nombre des pensées de l'auteur, le voir ainsi se projeter dans ce personnage, caricature en Priape doté de sulfureuse duplicité, qui ne parvient pas à gagner la sympathie du lecteur même après s'être lavé des pires soupçons, me semble bien relever de beaucoup d'auto-ironie, de l'humour juif, diront certains. De même que très juive est la fameuse révélation de tous les liens (notamment avec l'attentat du 11 Septembre), et pas uniquement ni même principalement pour la question des lettres hébraïques... (irais-je jusqu'à dire que ce roman m'a paru le plus juif de tous les livres que j'ai lus de Nathan jusqu'à présent ?)
Cit. :
Excipit tiré de Zohar, (5,a) : « Je vous supplie de ne jamais laisser sortir de votre bouche une parole de la Torah que vous n'avez pas comprise ou que vous n'avez pas entendue distinctement prononcer par un très grand. Car une telle faute peut amener à tuer des multitudes pour rien... »
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