Journal d’un vieux Renard
Meurtri et sonné par une mauvaise chute sur le dos ainsi que par la disparition brutale de sa mère, Sylvain Tesson a remis en perspective ses lignes de fuite dans le tableau chamboulé de son existence. Entre le zen hédoniste et l’« épilepsie sociale », la sérénité et l’agitation, l’écrivain voyageur a vécu l’enfer de l’écartèlement au-dessus du gouffre aux chimères. La tenue d’un journal de bord, vaille que vaille, a ramené les stériles convulsions à une « très légère oscillation ».
L’auteur possède l’art du recyclage puisque ses textes ont été publiés dans divers magazines où il tient une chronique (Le Point, Philosophie magazine, Grands reportages) mais il les a remaniés en les agrémentant d’aphorismes pour présenter l’ensemble sous la forme d’un journal cohérent qui court de janvier 2014 au printemps 2017. C’est dire si l’actualité politique et sociale qu’il commente brièvement et critique sans concession est fraîche dans la mémoire du lecteur avec les attentats djihadistes en France, les relations franco-russes, la guerre en Syrie, l’Etat islamique, l’identité culturelle, etc. ! Loin de la realpolitk flasque et grenouillante, ses prises de position courageuses et polémiques nourries au bon sens et à l’élan du cœur sont argumentées mais trop lapidaires. Remuant une mémoire brûlante, elles ne peuvent qu’enfler la polémique. Sylvain Tesson a l’enthousiasme farouche et la parole vive. Il n’est pas seulement un fin lecteur, il se sert du verbe en poète visionnaire, en voyageur ébloui. Un texte superbe de février 2014 parle ainsi des calanques marseillaises : « Le parfum des lentisques, l’odeur de la lumière serrent la gorge. Pas étonnant que les stoïciens aient écrit des pages de diamant et d’acier : ils vivaient dans cette géographie de la limpidité, de la pureté karstique, sous des ciels qui intiment l’ordre de vivre sans espérer ». Le texte se clôt sur une parabole de l’existence : « Une étroiture communique à la mer… Nous plongeons, passons dans la fente, crevons la surface, face au large, comme jetés sur un parvis de soleil. J’ai l’impression de sortir d’une cathédrale où viendraient d’être célébrées les fiançailles de la mer, du soleil, des falaises et des gouffres ». Bien des bonheurs d’écriture parsèment le journal. Le style nerveux, les phrases calibrées, les mots choisis restituent une pensée en mouvement, riche, critique et prospective. Le lecteur voyage beaucoup, ne s’ennuie jamais, les aphorismes venant régulièrement titiller l’esprit. L’humour brille à maintes reprises ainsi : « Quand un Chinois regarde notre alphabet de vingt-six lettres, il doit penser qu’il s’agit d’un système de transcription de grognements ». La solitude ontologique de l’homme nourrit le dialogue et l’ouverture au monde.
----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur
Wikipedia]