Entre la martre et le lapereau qui enchâssent le récit, entre le nervi qui chasse la jouvencelle, la ronde est menée par une belle mise en abyme et en avant le moujik ! La toute jeune Sophaletta a le feu aux trousses. Dans la forêt de bouleaux de la vieille Russie, elle fuit son bourreau, violeur occasionnel, assassin à la solde. Elle accompagnait sa mère à travers la sainte campagne russe afin d’honorer un rendez-vous auprès d’un noble vieillissant mais autrefois énamouré, Sergueï Maximovitch, engrossant la danseuse Elisaveta en son temps, puis la délaissant. Nostalgique, pris de remords, il souhaite déshériter en partie sa famille au profit de son amour d’antan. C’est sans compter sur la haine nourrie par sa femme, Dora Vassilievna, secondée par un moine retors, libidineux, sans scrupule, confesseur de la marâtre. Les deux comparses tendent un guet-apens à l’aide d’un duo de moujiks. Tout pourrait être pire dans le plus bas des mondes mais quelques samaritains jalonnent l’histoire mouvementée de Sophaletta à commencer par le jeune Milko aidé du bon vieux Anthime mais le conte de sorcière s’arrête là. La réalité russe postrévolutionnaire prend le relais et l’intérêt du lecteur s’accroît en conséquence. A travers une sordide histoire mêlant cocufiage et déshéritage, jouant avec les grands méchants du folklore russe dont un avatar de Raspoutine, légendaire pèlerin venu des confins de la Sibérie, le lecteur s’immerge dans un monde féodal où le pauvre n’a pas voix au chapitre, où la police emploie des méthodes expéditives, où les riches jouissent, où l’officier faraud part "casser du jaune", où le moine endiablé fornique, en fait, un monde postmoderne.
Les séries historiques abondèrent à la suite des "Passagers du vent" et dans la veine graphique de Juillard. "Sophaletta" est dans l’air des années quatre-vingt-dix, une série romancée sur une toile historique à l’instar de moult séries d’époque tels "Les Aigles décapités", "Les Chemins de Malefosse", "Les 7 vies de l’Epervier", etc. On pouvait logiquement se lasser d’une overdose de bédés issues du même moule selon la marque de fabrique des éditions Glénat. Quelques scènes dénudées servent le récit. Le dessin n’est pas excellent mais il ne démérite pas. Le graphisme d’Arnoux est davantage mis en valeur par le découpage et la mise en page d’un récit mouvementé. Bien ficelée, l’histoire donne envie d’être déballée et le lecteur emballé malgré toutes les grosses ficelles.

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