[Dictionnaire de la lepénisation des esprits | Pierre Tévanian - Sylvie Tissot]
La présente édition de cet ouvrage a été portée par l'onde du 21 avril 2002 ; par conséquent je la considérais comme un livre d'histoire que je ne me sentais pas pressé de lire. Hélas le scrutin récent, et surtout son traitement médiatique fortement inquiétant, m'ont poussé à me questionner sur la perpétuation dans l'actualité de mécanismes politico-médiatiques identiques, provoquant les mêmes résultats. (Une comparaison chronologique ultérieure est envisageable par la lecture successive de l'essai récent des mêmes auteurs,
Les Mots sont importants 2000/2010).
La thèse de cet essai est qu'il existe une surenchère du discours xénophobe et de l'idéologie de l'extrême droite en France, par leur diffusion progressive jusqu'à la banalisation, et qu'ils n'émanent pas des classes populaires ni des phobies des défavorisés de la "France profonde", mais sont au contraire inoculés par les plus hautes autorités politiques de tous bords (du PCF au PS, du centre-droit au FN) à des fins électoralistes, aussitôt repris avec complaisance voire servilité par d'insoupçonnables personnalités médiatiques et intellectuelles de droite comme de gauche, ainsi que par certains mouvements associatifs compromis, apportant des cautions scientifiques et "de terrain". Ce discours xénophobe opère par détournement du sens des mots, et s'il fait souvent fi de la cohérence et jusque de la lettre de la Loi, sans parler de son esprit, il se répand dans l'arène politique à force de métaphores, de slogans, d'abus de langage.
Dès lors, il ne peut être déconstruit que par l'analyse sémantique, voire lexicologique ; cela constitue la méthode de ce "Dictionnaire", qui reprend ces mots détournés, de A comme "Afrique et Africains" à Z comme "Zéro (immigration)". Ce cheminement par le langage, poursuivi ailleurs par Chomsky et par la sociologie constructiviste "des représentations", s'appuie notamment sur d'innombrables citations qui sont immédiatement mises à l'épreuve de la logique, perdant ainsi leur pouvoir rhétorique incantatoire.
Et l'on est alors atterrés de nous retrouver tous, bien malgré la vigilance avertie dont nous nous prévalons portant, à tel point victimes de si nombreux abus idéologiques et si opposés à nos valeurs, à notre logique :
"[...] on "lutte contre l'immigration clandestine" en jetant et en maintenant des gens dans la clandestinité ; on "combat l'ultra-libéralisme" en déréglementant, en "flexibilisant" et en précarisant les salariés français et étrangers ; le "courage" consiste à céder à la demande xénophobe de "l'opinion" et à dresser plus de 50 millions de Français contre 4 millions d'étrangers ; la "raison" et le "réalisme" consistent à entrer en empathie avec les pires fantasmes et phobies de "l'opinion publique". (p. 341-342).
Pour reprendre une cit. finale, post-exergue :
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La vérité est si obscurcie en ces temps où le mensonge est établi qu'à moins d'aimer la vérité on ne saurait la connaître", Blaise Pascal,
Pensées.
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