En réponse à un journaliste qui, lors d'une interview, lui demandait s'il était déjà tombé amoureux de l'un de ses personnages, Jim Harrison répondait par l'affirmative, admettant être tombé amoureux de Dalva...
Je le comprends. Moi aussi, je suis tombée amoureuse de Dalva, et je ne parle pas que du personnage. En effet, si le roman de Jim Harrison doit en partie son charme à cette héroïne inoubliable, il est aussi remarquable par ses nombreuses autres qualités. La première étant sans doute liée à la façon dont il évoque l'Amérique, loin des clichés qu'elle peut parfois incarner. Ce n'est pas de celle des gratte-ciel, des fast-foods, de l'agitation et de la violence urbaines, dont il est ici question. Dans l'Amérique de Jim Harrison, il faut prendre son temps pour écouter les oiseaux, reconnaître les plantes, camper au bord des ruisseaux, mitonner des petits plats dans lesquels vous aurez rajouté quelques herbes sauvages...
C'est l'Amérique des grands espaces, des ranchers bourrus, des élevages de chevaux. Une Amérique un peu schizophrène aussi, qui oscille entre modernité et traditions, et qui compose tant bien que mal avec ce pesant fardeau que représente l'héritage des guerres indiennes.
Et Dalva incarne à merveille cette Amérique que d'aucuns qualifieraient d'"éternelle" : l'un de ses aïeuls a laissé à ses descendants une immense propriété au sein de laquelle elle revient, après avoir vécu quelques années à Santa Monica. Elle y retrouve ses chevaux, la maison de son enfance, les rivières dans lesquelles elle se baigne en compagnie de sa jument, les prairies où elle s'allonge parfois nue, la nuit, pour observer les étoiles. Elle renoue aussi avec le souvenir des hommes qui ont marqué sa vie : son grand-père, qui s'est occupé d'elle comme de sa propre fille, suite au décès précoce de son père, et Duane, l'indien qui fut son premier amour, dont elle eut un fils qu'elle dut abandonner, n'étant alors âgée que de 15 ans... A l'approche de la cinquantaine, elle ressent le besoin de retrouver ce fils inconnu.
Difficile de définir l'héroïne de ce roman sans donner l'impression de tomber dans la caricature : elle est belle, intelligente, cultivée, tolérante... et elle est plus que cela ! Elle est à la fois "moderne", dans le sens où elle est entièrement indépendante, libre de ses paroles comme de ses affections, et en même temps profondément attachée aux valeurs pérennes que sont l'amour de la nature, le goût des plaisirs simples. Le récit est en partie constitué de la transcription de son journal intime, de quoi nous donner toute la mesure de la personnalité complexe et attachante de Dalva.
Jim Harrison n'en néglige pas pour autant ses autres protagonistes. Je ne vous les citerai pas tous, mais il me semble intéressant de mentionner au moins l'un d'eux, John Wesley Northbridge, l'arrière grand-père de son héroïne, missionnaire méthodiste à la fois prêtre et horticulteur, chargé d'enseigner aux tribus indiennes les rudiments de l'agriculture... Homme sensible et généreux, lui aussi proche de la nature, il sera anéanti par l'injustice et la cruauté avec lesquelles ses compatriotes traiteront lesdites tribus. C'est lui qui constituera le domaine dont jouiront après lui ses descendants, tout comme il leur lèguera une partie de sang indien, en s'unissant avec une jeune Sioux.
J'ai trouvé ce roman tout simplement magnifique. Jim Harrison nous livre un récit foisonnant, érudit, lyrique, et même drôle, par moments (certaines situations sont assez cocasses). Il fait preuve d'une maîtrise admirable, faisant se répondre passé et présent sans jamais perdre le lecteur, et sait nous émouvoir aussi bien par l'évocation des errements de ses personnages que par celle d'un milieu naturel pour lequel il semble avoir beaucoup de respect et d'amour.
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