Le diariste épéiste André Blanchard, avec la densité de sa plume que l’humour allège, rend compte de la vie intellectuelle et littéraire depuis Vesoul à travers ses « Carnets », courant de 2003 à 2005 et intitulés
Contrebande. Commencés en 1987 sous le titre
Entre chien et loup, ont suivi
De littérature et d’eau fraîche : 1988-1989 ;
Messe basse : 1990-1992 ;
Impasse de la Défense : 1993-1995 ;
Petites nuits : 2000-2002. Entre ces journaux, s’intercalent des chroniques,
Impressions, siècle couchant, I & II. L’auteur a troqué l’éditeur provincial Maé-Erti, sis à Conflandey pour Le Dilettante ayant pignon sur rue à Paris, ville qui reste une place forte littéraire
« la meilleure du monde », « malgré les prêchi-prêcha des ultras qui adorent aller s’agenouiller outre-Atlantique ». On ne s’ennuie jamais à la lecture des
Carnets qui ne sont donc pas à proprement parler un journal. L’auteur ne relate pas son quotidien qui est expurgé et ramené à une réflexion plus générale :
« Mes Carnets sont plus parents du recueil de moraliste et de chroniqueur que du journal… ». Le style est vif, les paragraphes courts. A travers des mots bien pesés, le vinaigre gicle sur les ignares prétentieux et les baumes se répandent sur les laissés pour compte. L’auteur épingle les travers des comportements et les langues qui fourchent :
« […] ceci, dit à un écrivain par un interviewer… « Vos mots, on le sent bien, peuvent sauver un lecteur de la mort. » Mais non, andouille ! La différer, tout au plus la différer ». Il sait aussi remarquablement bien parler de la littérature qu’il aime ainsi que de celle qui lui pèse. Ainsi, Montaigne a droit à sa volée de bois vert :
« […] je n’ai jamais pu lire Montaigne, quelques pages et il me barbe, tant il m’en apparaît une bien vieille… ». Sous la trique d’André Blanchard, Marcel Jouhandeau trinque à son tour :
« C’est tout lui, sorte de Bobin avant l’heure, en plus dessalé, pipelet de la mystique, acrobate de la prière tant elle partait des bas-fonds… ». Il y a encore Ernaux,
« obscénité littéraire » ou Houellebecq avec son roman dont
« le cul reste le personnage principal », « […] Houellebecq… cet auteur culte, comme ils disent, quand auteur de cul serait plus juste… ». Pour Baudelaire, la matraque se fait plume et c’est bath :
« [Ses poèmes] sont tellement impériaux qu’on les dirait de toute éternité, venus de la nuit des temps. C’est cela, consubstantiels à l’origine du monde et, vers dans le fruit, qui en prophétisent la chute ». Plus loin, il dit encore :
« Baudelaire… au chevet du mal, le veille à sa façon : en l’hypnotisant ». Pour Albert Cohen, la férule est en suspens :
« Belle du seigneur, lu il y a vingt-cinq ans. Est-ce que je le relis ? C’est un des livres qui nous culbutèrent de joie et que nous avons peur de ne plus tant aimer ». François Mauriac tire la couverture à lui avec les louanges qu’André Blanchard lui tresse de tout temps. On ne devine jamais comment la phrase va frapper mais elle sonne toujours juste, gifle ou caresse, lancée avec l’élan de la sincérité, ce qui met le lecteur en joie et ses joues en feu. Le tout se sirote avec délectation même si le fond du propos est souvent désabusé, sombre et astringent. Il faut boire la vie jusqu’à l’hallali avec l’amertume d’en avoir déjà fini. Avec sa plume légère de médecin de l’âme atteint lui-même de mélancolie, l’auteur nous vaccine efficacement contre le mal à vivre, l’épuisant spleen baudelairien qui « nous écrase par terre » tel l’insecte que la dépression terrasse.
« Un écrivain ne vous apprend pas à vivre ; au mieux vous aide-t-il à continuer. […]- Et ce ne sont pas les plus optimistes ni les bien dans leur peau qui y parviennent le mieux ! » André Blanchard, c’est parole d’évangile ! A
« la cohue des jobards » qui viennent nous assassiner jusque dans nos livres, on peut penser très fort et à juste titre :
« du large, les connards ! ».
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