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[Révolutions de notre temps. Manifeste internationaliste...]
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Posté: Jeu 21 Aoû 2025 22:10
MessageSujet du message: [Révolutions de notre temps. Manifeste internationaliste...]
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[Révolutions de notre temps. Manifeste internationaliste | Les Peuples Veulent (The Peoples Want)]

Face à l'apathie veule de tous ceux qui estiment que le temps des révolutions serait révolu, en ouverture d'ouvrage, un planisphère orienté Est-Ouest reporte, fléchées sur le pays relatif, les dates de soulèvements suivants :
« Palestine (2000, 2005, 2020), Argentine (2001), Kabylie (2001), Géorgie (2003, 2024), Ukraine (2004, 2014), Liban (2005, 2019), France (2005, 2018, 2023), Kirghizstan (2005, 2010, 2020), Biélorussie (2006, 2021), Islande (2008), Grèce (2008, 2011), Iran (2009, 2017, 2019, 2022), Pérou (2009, 2022), Syrie (2011), Maroc (2011), Libye (2011), Tunisie (2011), Espagne (2011), Égypte (2011), Royaume-Uni (2011), États-Unis (2011, 2014, 2015, 2020), Yémen (2011), Bahreïn (2011), Québec (2012), Thaïlande (2013, 2020), Brésil (2013), Soudan (2013, 2018, 2019), Turquie (2013), Burkina Faso (2014), Hong Kong (2014, 2018), Bakur-Kurdistan (2015), Corée du Sud (2016), Nicaragua (2018), Irak (2019), Catalogne (2019), Équateur (2019), Chili (2019), Inde (2019), Haïti (2019), Algérie (2019), Colombie (2019, 2020, 2021), Birmanie (2021), Kazakhstan (2022), Sri Lanka (2022), Sénégal (2022-2023), Bangladesh (2024), etc. »

Se résignerait-on au TINA (« There Is No Alternative ») thatcherien ? Depuis 2019, un collectif composé initialement surtout de révolutionnaires syriens exilés en banlieue parisienne œuvre à créer un réseau transnational qui réunit des combattants, exilés ou non, d'un continent à l'autre, sous la bannière : « Les Peuples Veulent » (« The Peoples Want »). Conçu comme une équipe de liaison, un réseau d'entraide matérielle, un groupe de réflexion pour la diffusion de la culture et des expériences insurrectionnelles, ce collectif a organisé 5 rencontres-festivals à Montreuil et à Marseille, et a enfin rédigé ce « Manifeste internationaliste », « fruit du travail d'une soixantaine de personnes réparties sur les cinq continents [...] simultanément en arabe, espagnol, anglais et français. » La parution date de mars 2025, ce qui en fait un document de la plus grande actualité.
La variété des contextes des insurrections dont sont issues les expériences des rédacteurs, la diversité présumée de leurs personnalités et surtout le refus de s'inscrire dans une logique idéologique de blocs géopolitiques opposés contribuent à fournir une lecture très originale et inspirante du sujet traité. Si le positionnement politique commun du Manifeste est qu'il faille résister aux assauts du capitalisme mondialisé, dénommé l'Empire, depuis ses marges (périphéries des pays anciennement colonisés ou banlieues des métropoles centrales du pouvoir global), afin de rendre une part du pouvoir au peuple ou tout au moins de lui permettre de conquérir une marge d'autonomie ; s'il est reconnu que la contre-révolution revêt la forme des populismes fascistes prétendument « antisystème » et faussement « décoloniaux » d'un Poutine et Xi Jimping, d'un Trump et Bolsonaro, d'un Milei et Modi, d'une Meloni et Netanyahu, le texte est néanmoins assez « hétérodoxe » vis-à-vis de certaines positions de la gauche française, et ne se prive d'ailleurs pas de critiquer les militants de gauche occidentaux en général, notamment sur la question de leur rapports aux réfugiés politiques dans leurs pays. L'exil est d'ailleurs un sujet très important, auquel est consacré un chapitre entier, ainsi que l'internationalisme conçu « par le bas », en opposition à la « solidarité » et à la coopération internationale, même multilatérale et non-gouvernementale, mais au contraire comme une entraide sur le modèle de la 'minga' (collaboration à la réalisation d'une tâche commune) à l'échelle mondiale. La conception de la révolution est aussi très originale, puisqu'il ne s'agit en aucun cas d'une conquête du pouvoir ni du remplacement d'une structure étatique et bureaucratique existante par son antagoniste, aussi révolutionnaire fût-elle, mais de formes originales et locales d'accession à l'autonomie. Par ailleurs, des combats transversaux inclusifs des luttes féministes, écologistes, LGBT, etc. trouvent toute leur place dans le Manifeste. Logiquement, la problématique de la non-violence ou au contraire de la nécessité éventuelle de la lutte armée ainsi que les conséquences de celle-ci sur la dynamique de la mobilisation et par rapport aux périls du soulèvement est également abordée en détail, conformément aux différentes expériences représentées. Ces dernières sont d'ailleurs très souvent invoquées à titre de preuve, ce qui constitue un argumentaire très intéressant pour un lectorat qui est habituellement peu informé sur la plupart de ces insurrections, même celles qui ont durée longtemps, comme au Soudan et dans de nombreux pays méso- et sud-américains. Un tel ancrage concret et contemporain, tout en redéfinissant les buts et les horizons des luttes anti-impérialistes et anti-capitalistes, contribue à en conférer un aspect beaucoup moins utopique que ce qu'on lit habituellement, en même temps qu'il hiérarchise la priorité de la menace dans la contre-révolution populiste qui apparaît effectivement imminente dans de nombreuses régions du monde dont nos pays européens. Il semble donc à la fois éthiquement juste et politiquement opportun de prêter toute notre attention à la parole des révolutionnaires rédacteurs de ce Manifeste, qui viennent de loin et de si nombreux horizons avec leurs expériences pour nous apporter un savoir, une analyse et des méthodes de résistance dont nous risquons fort d'avoir grand besoin bientôt...



Table [et appel des cit.]

- Nous reconnaître [cit. 1]

- Naissance de notre force :

Les marges à l'assaut du centre
De la marge au peuple
La chute du régime
Le plan qui nous a manqué

- Trouver le frein d'urgence :

Derrière chaque fascisme gît une révolution manquée [cit. 2]
Temps épuisés [cit. 2 suite]
État d'urgence dans tous les États
Trouver l'horizon [cit. 3]

- Faire de l'exil une position d'attaque :

Chemin mortifères
Le front du pays d'arrivée [cit. 4]
Multiplier les circulations [cit. 4 bis]

- Internationalisme par le bas :

Le problème de la « solidarité »
L'entraide [cit. 5]
Étendre la 'minga' à l'échelle du monde
Feu à la Realpolitik, pour une tendresse révolutionnaire [cit. 6]

- Chute de l'Empire :

De quoi l'Occident est-il le nom ?
Le problème de l'intervention militaire
L'Empire survivra à l'Occident
Chaque génération doit, dans une relative opacité, affronter sa mission : la remplir ou la trahir
Arrêter ce monde

- Révolution ? :

Tôt ou tard, il tombera [cit. 7]
Rupture par insistance [cit. 7 suite]
Le dilemme de l'organisation
Choisir l'audace, mesurer les risques
Défendre la révolution
L'évidence du pouvoir populaire [cit. 8]

- Recommencer :

I. Créer un espace transnational de liaison
II. Mutualiser et décupler nos moyens
III. Consteller la planète de lieux amis
IV. Donner corps à une culture révolutionnaire transnationale
Entre l'improbable et le possible [cit. 9]



Cit. :


1. « C'est de la rage et de l'amertume de nos défaites, mais aussi du besoin de ne pas en rester là qu'est né le désir de se connaître et de se lier. Nous avons commencé à tisser un réseau de liaisons planétaires avec celles et ceux d'entre nous qui, de premières lignes en assemblées populaires, de grèves féministes en comités de résistance, de ronds-points habités en forêts occupées, se sont découvert une sensibilité commune.
Si les avant-gardes d'un autre temps prétendaient marcher un pas en avant des masses, nous savons que nous marchons un pas en arrière des soulèvements populaires des dernières décennies. Nous avons grandi dans leur sillage, ils ont été notre meilleure école. À partir de là, nous essayons de tisser la trame d'une expérience générationnelle. De cette expérience qui relie toutes celles et ceux qui, quels que soient leur âge, leur genre, leur ethnie, leur religion ou leur langue, ont reconnu, au plus profond de leur cœur et de leur corps, l'émergence d'un nouveau cycle révolutionnaire.
Aucune des idéologies ni des grilles d'analyse politique dont nous avons chacun.e hérité n'est seule à même de saisir le tumulte de notre époque. C'est pourquoi nous n'avons pas cherché à en créer de nouvelles. En revanche, nous avons une idée de la méthode qui nous permettra de trouver de nouvelles voies praticables pour faire sens et corps ensemble. L'internationalisme est le nom de cette méthode.
La tâche révolutionnaire est en partie devenue une tâche de traduction. Partager et traduire nos perceptions de la réalité, puis les mettre en circulation sont les premiers pas de notre méthode. » (pp. 13-14)

2. « Comment penser que les suprémacismes bulldozer de Trump, Modi ou Netanyahu pourraient être battus par un argumentaire bien fourni, un rapport du Giec, le 'fact-checking' du New York Times ou un vote à l'ONU ? Chaque fois qu'il s'aventure sur ce terrain, le progressisme est un peu plus moqué, décrédibilisé et donc contre-productif. La résignation des sociaux-démocrates prétendant qu'il est impossible de changer quoi que ce soit, même après avoir gagné des élections, prépare le terrain de la subversion pour les forces fascistes qui n'ont plus qu'à se baisser pour récolter les colères légitimes et les âmes perdues des soulèvements. De Washington à Brasilia, nous n'avons vu jusqu'à présent que des parodies d'insurrections. Les prochaines pourraient être beaucoup plus sérieuses.
La résurgence à l'échelle mondiale des nationalismes xénophobes et les attaques systématiques contre les droits des femmes et les dissidences de genre et de sexe sont le résultat d'une articulation bien réfléchie, d'une offensive globale, celle d'une internationale néofasciste. Si ces visages du pouvoir, de plus en plus tendus et grimaçants, diffèrent en apparence, ils appartiennent tous à la même bête. Car, au-delà des conflits et des inimitiés apparentes, ces forces partagent un objectif commun : le maintien coûte que coûte du pouvoir des centres. Et, pour y parvenir, aucun massacre ne sera trop cher payé. Bien au contraire, la guerre a toujours été un ingrédient de choix pour éloigner la révolution.
[…]
Partout, nous avons basculé dans le régime de l'urgence. Dans la sidération. De tous les régimes dont on peut souhaiter la disparition, il est parmi les plus tenaces. Il s'inscrit de manière indélébile jusque dans nos modes de vie, d'organisation et de lutte. » (pp. 34-35)

3. « Nous avons besoin de rétablir notre propre temporalité, de regagner ensemble de l'espace et du temps pour penser et construire notre manière à nous d'"actionner le frein d'urgence". Qu'on vive dans une société plus ou moins effondrée sous les coups de l'économie, de la guerre, de catastrophes, ou qu'on vive dans le cœur étouffé d'une forteresse occidentale, hantée par la perspective de son effondrement, la seule voie en avant est de construire un plan commun, transversal à chacune de nos situations. Et de nous interroger : quelle est la nature de l'urgence qui nous traverse ? Quels sont les leviers qu'elle nous offre ? Quelle énergie nous donne-t-elle, mais aussi quelle énergie nous ôte-t-elle ? Qu'y a-t-il à gagner dans cette course à déterminer l'urgence principale ? Quels sont les moyens exorbitants dont elle justifiera un jour l'usage du côté de l'adversaire ?
Car, quel que soit le parti qui la brandit, 'l'urgence', comme mandat à agir, est une manœuvre. Une manœuvre pour enrôler l'adversaire et le soumettre à son propre agenda. Et, à ce jeu, il y a peu de doute sur l'identité de ceux et celles qui auront les moyens de gagner à la fin. Du côté des mouvements populaires, l'urgence à agir est toujours un tremplin vers l'éparpillement des forces et leur épuisement à brève échéance. Il faudrait au contraire concentrer et mesurer nos gestes pour frapper là où cela fera peut-être une différence. » (pp. 42-43)

4. « En tant qu'exilé.es, même lorsque nous recevons de la compassion ou de la sympathie, on nous refuse généralement un rôle politique dans le pays où nous sommes arrivé.es, même lorsque les raisons de notre départ étaient justement politiques. L'Occident ne manque pas de curieux.ses qui s'intéressent à nos cultures, à nos musiques, à nos cuisines, à nos langues, qui les trouvent "délicieuses" et "tout à fait fascinantes", mais qui se moquent éperdument de nos opinions sur la marche du monde. L'exilé.e est soit une figure humanitaire et dépolitisée qui suscite la charité et la bonne conscience des citoyen.nes de gauche, soit un objet folklorique sur lequel projeter ses fantasmes d'ailleurs. Le "multiculturalisme", loué à l'ère de la mondialisation, est l'analgésique de la destruction des cultures et des mondes.
[…] L'ignorance persistante que certain.es "camarades" que nous rencontrons en exil ont des situations de lutte hors de leurs frontières nationales et psychiques est une forme de paternalisme condescendant qui nous réduit au rôle de victimes subissant plus ou moins innocemment tous les malheurs : la "crise économique" au Sri Lanka, la "guerre civile" en Syrie ou au Soudan, les talibans en Afghanistan, etc. Cette négation de notre subjectivité et de nos engagements crée un amoncellement d'occasions manquées qui prolonge l'épreuve des révolutionnaires en exil et prive les communautés locales de leçons, d'expériences et de savoir-faire qui ne pourraient que renforcer les luttes sur place. » (pp. 52-53)

4 bis. « L'internationalisme, comme théorie révolutionnaire, a toujours été étroitement lié à l'exil, à la migration et aux diasporas. Nombre de révolutionnaires dans l'histoire ont en commun d'avoir quitté, à un moment ou à un autre de leur vie, leur pays d'origine par la déportation, la migration, l'exil ou pour rejoindre la guérilla. Cela les a amené.es à confronter leurs idées à de nouvelles réalités, à se familiariser avec des contextes différents, et à faire circuler dans le monde entier des récits et des analyses des événements qui avaient secoué les pays qu'ils avaient quittés. Loin d'être une simple coïncidence, la mobilité transnationale de ces personnes a été fondamentale pour nourrir leur pratique et diffuser leur pensée.
L'internationalisme est un voyage non seulement de personnes, mais aussi d'idées et de pratiques. Penser l'exil, c'est répondre au défi de construire des perceptions communes malgré la diversité des contextes locaux et les difficultés propres à chaque situation. L'exil peut être vécu comme un prolongement de la révolte, un pont qui relie au reste du monde. Cela pourrait compenser la profonde incompréhension à laquelle ont été confrontées de nombreuses révoltes d'aujourd'hui, notamment en raison du manque de relations entre les révolutionnaires des différentes parties du monde. » (pp. 54-55)

5. « Aucune révolution ne devrait plus se sentir orpheline ou trahie par l'indifférence du monde. Cela suppose, dans un premier temps, de pouvoir communiquer avec les gens sur place dans les moments cruciaux, pour faire sortir l'information du terrain et la 'traduire' pour d'autres contextes. Et, dans un second temps, de permettre la coordination d'actions de soutien, et d'établir des canaux de liaison dans le temps long, pour partager nos perceptions et analyses de la situation.
La constitution d'une histoire commune, tissée de toutes nos expériences accumulées, est d'une importance vitale. Cela passe par la mise en circulation des récits et des analyses issues des luttes et des expériences précédentes. Faire une campagne antifasciste, écrire une Constitution féministe, développer des techniques agroécologiques, vaincre une armée de trolls, se défendre contre la police, mettre en place des réseaux de financement ou organiser la réponse aux besoins quotidiens d'une zone libérée sont les apprentissages et des savoirs-faire que nous pouvons mettre en partage et en circulation. Les forces conservatrices et contre-révolutionnaires font tout ce qu'elles peuvent pour dépeindre nos insurrections comme des chaos criminels, nos camarades comme des terroristes, nos acquis comme des échecs. La bataille des récits et des images est plus que jamais centrale, tant dans l'immédiateté de la lutte que pour nourrir une 'mémoire du futur' comme le disent des camarades chilien.nes.
L'entraide, enfin, s'incarne dans l'action. C'est bloquer ici une usine d'armement pour réduire là-bas l'intensité des bombardements, c'est harceler ici une multinationale pour compromettre là-bas ses projets extractivistes. C'est encore peser sur ce qu'on appelle 'l'opinion'. Intervenir dans les différents lieux de vie, de travail, de formation, de loisirs et de lutte pour rendre justice et apporter un soutien moral à celles et ceux qui luttent loin. L'entraide est le moteur de l'internationalisme. Les luttes locales, en s'ouvrant à l'international, peuvent développer des capacités d'action planétaires contre les réseaux de pouvoir et d'argent qui, eux, ne connaissent pas les frontières. Les cibles communes et pertinentes ne manquent pas. » (pp. 64-65)

6. « Ces "anti-impérialistes" sont parfois tellement à contre-courant du mouvement réel que, au moment où des mouvements populaires prennent les choses en main, ils s'empressent de plaquer leurs discours et leurs analyses déconnectées du terrain, dépossédant les premier.ères concerné.es de leur pouvoir de dire et d'agir. À leurs yeux, la résistance populaire en Ukraine tout comme les féministes en Iran ou les révolutionnaires en Syrie sont soit des "agents de l'impérialisme", soit des personnes incapables de comprendre leurs propres situations. Ces idéologues savent toujours mieux que les gens sur place, depuis leur "distance critique", ce qu'il faut faire. […]
Considérer les pays occidentaux comme les seules puissances impérialistes, et les États-Unis comme LA source de tous les maux, biais caractéristique de ces positions "campistes", les amène à relativiser les crimes des régimes syrien, russe, chinois ou iranien. […] Cela les conduit à voir dans des puissances impériales comme la Chine ou la Russie des alliées théoriques. Ces deux régimes, qui soutiennent rhétoriquement la cause de la Palestine, sont ainsi perçus comme un moindre mal vis-à-vis de l'hypocrisie des pays occidentaux, tous alignés derrière la colonisation israélienne. Mais "plus opportun" ou "moindre mal" pour qui ? Il est si difficile de choisir son génocide ou son occupation préférée. Pourquoi devrait-on tolérer le génocide des Ouïghour.es en Chine pour mettre fin au génocide de Gaza ? Pourquoi faudrait-il dénoncer la colonisation israélienne en Palestine d'un côté, et fermer les yeux sur la guerre contre-insurrectionnelle en Tchétchénie, sur l'invasion de la Géorgie ou de l'Ukraine par la Russie, et inversement ? » (pp. 70-71)

7. « L'enjeu est de réussir à défaire les structures qui nous oppressent avec un impératif stratégique de taille : ne plus sacrifier les moyens – ou le combat de certain.es d'entre nous – au nom d'une fin toujours reportée. Cette manière de penser la politique comme "transformation" et non comme "conquête du pouvoir" a relocalisé la politique révolutionnaire dans la pratique et dans l'intime, ce qui manquait à tant d'organisations et de militant.es. Il s'agit de construire une vie radicalement nouvelle, un nouveau rapport à sa communauté, à ses désirs, à l'argent, aux soins, et même à la lutte.
Considérer la révolution comme un processus n'est pas contradictoire avec la conviction que le moment du soulèvement y est central. Quelle que soit son issue, un soulèvement est toujours un événement décisif. Quand il est défait, il laisse derrière lui des expériences incarnées irréfutables et d'innombrables graines qui continueront à pousser dans son sillage. Si, au contraire, il réussit à faire tomber le régime, alors quelque chose de nouveau commence, prometteur et périlleux à la fois.
[…]
Pour nombre d'entre nous, le processus révolutionnaire passe aussi par la construction d'une autonomie matérielle et politique, par des formes d'autosubsistance collectives et territoriales. C'est une quête de rupture avec la dépendance aux centres qui s'est étendue aux forêts, aux montagnes et aux villes partout sur la planète. Ainsi, la construction de l'autonomie a donné naissance à des espaces solidement ancrés dans le monde, et qui vont à l'encontre de la machine infernale imposée par l'Empire. Parfois héritière d'une histoire millénaire, parfois jeune pousse à peine éclose, elle peut s'incarner de multiples manières, dans une assemblée territoriale, une coopérative agricole, une cantine populaire, un syndicat de quartier, un réseau transnational de solidarité queer, un collectif de médias. » (pp. 94-95)

8. « Comment protéger les pouvoirs populaires naissants du risque de la guerre civile ? Existe-t-il une alternative à la prise d'armes ou s'agit-il d'un horizon inévitable de la révolution ? L'établissement d'un pouvoir révolutionnaire à l'échelle 'nationale', en lieu et place de celui que nous combattons, est-il une étape indispensable pour rendre le changement irréversible ? Faut-il au contraire consolider partout le pouvoir populaire pour éviter sa mise au pas par un nouvel appareil d’État, fût-il révolutionnaire ? Nous n'avons pas les réponses à ces questions, que tant de révolutionnaires ont déjà posées. Chercher une théorie qui donnerait la formule secrète de la victoire est une impasse. Il n'y a que des expérimentations, des paris et des compositions stratégiques plus ou moins fertiles. Certain.es fonderont leurs réponses sur la force des organisations révolutionnaires, d'autres sur des formes émergentes de pouvoir territorial, d'autres encore sur le pouvoir unificateur des religions et des idéologies. D'autres, enfin, sur un habile mélange de tout cela.
Le chemin de la révolution n'ira pas d'un point A à un point B, il sera comme une traînée d'étoiles, une série de conflagrations illuminant la nuit, chacune indiquant la direction plus clairement que la précédente, jusqu'à ce que l'on passe finalement le point de non-retour. » (pp. 109-110)

9. « Nous sommes à la croisée des chemins où nos aspirations au changement se confrontent aux réalités d'un monde qui s'effondre. À ce point, seules trois options se présentent à nous : continuer à regarder l'Empire nous entraîner dans l'abîme en faisant mine de ne pas savoir où il nous mène, céder à la panique générale et rester prostré.es en attendant la fin, ou organiser méticuleusement notre plan de sortie en faisant le pari que, de l'improbable, nous allons extraire le possible. C'est non seulement pour survivre, mais aussi pour enfin bien vivre, qu'il nous fait retrouver un horizon révolutionnaire.
Nous commençons à construire, dès aujourd'hui, ce qui pourra résister aux tempêtes de demain. Nous pensons précisément que c'est maintenant que nous devons étendre et consolider nos liaisons. Nos contextes respectifs ne vont cesser de se détériorer dans les années qui viennent, mais nous parions que, au cœur même des "effondrements", des points de bascule de toutes sortes seront l'occasion de ruptures et de changements majeurs que nous pourrons tourner à notre avantage, pour autant que nous y soyons préparé.es. Chaque étape franchie, chaque obstacle surmonté nous rapproche un peu plus de véritables victoires. […] Les pronostics ne sont pas en notre faveur. Il est possible que nous ne parvenions pas à faire tourner le vent dans notre sens, à être ce tsunami à même de tout renverser. Mais c'est un risque que nous sommes prêt.es à prendre. Comme disait une amie catalane : "il est des moments où c'est un risque de ne pas prendre de risque." » (pp. 116-117)

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