Autour de 1850, la colonisation britannique de l'Inde est en train de changer de nature. La politique de division des rois locaux, que la Couronne soutient l'un contre l'autre afin de promouvoir les intérêts commerciaux de Compagnie des Indes se métamorphose en ambition impérialiste d'interférer dans leurs successions dynastiques, à travers une armée d'indigènes – appelés en persan sipâhis (francisés en cipayes) – dont on ne respecte plus les croyances religieuses. Le machiavélisme se transforme en prédations, brutalités et humiliations. Une révolte des cipayes éclate par conséquent en 1857 à partir de l'Inde centrale, que l'on définit désormais officiellement : « la première guerre pour l'indépendance de l'Inde », chroniquée en direct depuis Londres par Marx et Engels, qui essayent de parier sur son issue et sa transformation en révolution.
Le plus impressionnant, encore aujourd'hui, c'est que cette révolte qui dura deux ans et se solda par d'immenses massacres et la soumission entière de l'Inde, fut dirigée et guidée par une femme guerrière, jeune veuve d'un roitelet de Jhansi qu'on dirait aujourd'hui transgenre, laquelle n'avait au départ aucune haine pour l'Anglais mais juste la volonté d'assurer la régence du fils adoptif de son incapable de mari, lequel portait le même prénom que le petit garçon qu'elle avait eu tant de mal à enfanter et qui était décédé en bas âge.
Née avec la prémonition d'un destin de reine, Lakshmi Baï dite Chabili, « Chérie » par ses proches, « Rani » par ses sujets, et surnommée Jézabel ou Jeanne d'Arc la sorcière par les Anglais, apparaît dans cette biographie romanesque comme le parangon d'un reine guerrière, aussi déterminée que vertueuse, aussi habile que vaillante. Il est surprenant que, malgré toutes les différences qui existent entre l'idéal moral hindou d'une brahmane du XIXe siècle et celui d'une héroïne occidentale contemporaine qui mène un combat auquel on peut adhérer il puisse y avoir si peu d'incongruences, dans cette sorte d'hagiographie. Peut-être l'aura de l'héroïsme pour la cause juste confère-t-il à la protagoniste une stature qui transcende les divergences superficielles, ou bien est-ce l'amour de l'autrice pour l'Inde et pour une légende que celle-ci a transmise de cette femme extraordinaire qui lui font oublier sa perspective occidentale...
Cit. :
1. « Ils aimaient leurs soldats, oui, ils les chérissaient. Et eux ?
Les cipayes se trouvaient bien traités, pour ça, rien à dire. Mais ce n'était plus pareil, enfin, pas tout à fait. Leurs officiers anglais étaient meilleurs dans le temps, partageant leur popote, épousant des Indiennes, vivant comme eux et avec eux. Maintenant, les maîtres étaient de petits jeunes venus pour faire fortune, des moins que rien qui n'aimaient pas le pays et qui mangeaient du gigot bouilli entre eux.
Il n'y avait toujours pas d'officier indien ; sous-officier, ça oui, mais officier, jamais. Les maîtres étaient les maîtres, les Sahibs ; leurs Mem-Sahibs, les madames venues d'Angleterre, étaient vraiment bizarres, habillées de laine au plus fort de la chaleur, dévorant de la viande de bœuf saignante à belles dents, dînant précieusement sur une nappe où couraient les cafards, se lavant peu, sentant terriblement mauvais.
Les cipayes commençaient à appeler peaux-jaunes leurs jeunes maîtres à cause des quantités d'alcool qu'ils absorbaient. Leurs maîtres au teint curcuma et à l'air satisfait, des gens cupides, intéressés, ah ! Non, ce n'était plus pareil. » (pp. 178-179)
2. « Le plus fidèle disciple de Gandhi s'appelait Vallabhbhaï Patel, si fidèle qu'on l'appelait "l'homme oui-oui" de son leader. Emprisonné à de nombreuses reprises pour désobéissance civile et manifestations non violentes, Patel devint le bras droit de Nehru, et son surnom changea : il devint "l'homme de fer".
L'homme de fer était le fils d'un cipaye de Jhansi qui avait combattu sous les ordres de la Rani.
Nehru vénérait la mémoire de Lakshmi Baï. Après l'indépendance, des statues équestres apparurent dans les squares des villes de l'Inde centrale. Toutes des cavalières brandissant une épée, à Gwalior, à Agra, à Jhansi. Ces statues n'honorent pas seulement la Rani héroïque, mais aussi ses compagnes, Mandar et Kashi. » (p. 373)
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