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[Violences urbaines | BUI TRONG Lucienne]
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le_regent



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Posté: Jeu 29 Jan 2015 21:31
MessageSujet du message: [Violences urbaines | BUI TRONG Lucienne]
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Violences urbaines Des vérités qui dérangent / Bui Trong Lucienne. – Paris : Bayard Editions, 2000. – 180 p. – ISBN 2-227-13784-3

Comme souvent, un livre trouvé en brocante. Et c'est précisément parce qu'il est un peu ancien (publié en 2000) qu'il m'a intéressé : comment la représentation du phénomène a-t-elle évolué au cours du temps ?
L'auteur, le commissaire Lucienne Bui Trong, n'a pas vieilli sous le harnois policier : « […] élève de l'école normale d'institutrices, puis de l'Ecole normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, j'ai enseigné la philosophie pendant deux ans, dans un lycée de Bretagne, avant de me consacrer exclusivement à l'éducation de mes trois enfants pendant dix-sept ans. Et c'est à quarante-trois ans que je suis entrée dans la Police. » A la fin de sa formation, au moment où elle doit choisir son affectation, le directeur adjoint des Renseignements généraux, Yves Bertrand, insiste pour qu'elle choisisse les R.G., s'engageant à la faire venir à la direction centrale dans les six mois, où elle prendra effectivement la responsabilité de la section Presse.
Fin 1990 ou début 1991, Yves Bertrand la sollicite pour, en sus de ses tâches, de manière informelle et « en toute confidentialité », analyser les phénomènes de bandes et leurs aspects culturels. Il lui demandera ensuite de comparer les phénomènes de « cours des miracles » du Moyen-âge et les violences collectives des quartiers, puis d'élargir ses recherches aux Etats-Unis, l'amenant à se « greffer » sur une mission d'études organisée en mars 1991 aux Etats-Unis. Finalement, son directeur (le préfet Jean-Jacques Pascal) lui demandera si elle accepterait de « s'occuper du phénomène des bandes » (mission rien moins que précise) en dirigeant une « cellule » autonome sur ce thème. Fin juin 1991, cette cellule deviendra la Section violences urbaines et en septembre 1991, la Section Villes et banlieues, au sein de laquelle Lucienne Bui Trong passera neuf années avant son départ à la retraite.
L'auteur n'a pas d'état d'âme par rapport à sa fonction : « Si j'ai choisi ce corps de l'état, c'est parce que, par de nombreux aspects, la Police me fascinait. Sensible à la philosophie de Hegel, j'avais une certaine idée de l'état et de ses missions. Et j'étais très curieuse de découvrir, de l'intérieur, une institution que je trouvais injustement décriée. » Pour autant, elle n'a pas une vision caricaturale du phénomène auquel elle a consacré ses quelques années d'activité policière.
Dès le début de son travail elle perçoit que les auteurs des violences urbaines (personnellement j'ajouterais le qualificatif juvéniles) ne sont qu'un petit nombre : « […] même si ces jeunes sont actifs et visibles, et même si leurs exactions sont souvent minimisées, voire justifiées, au nom de la solidarité, par une partie importante des populations de même origine, leur nombre ne doit pas être surestimé. Plus encore, rapporté à la totalité de la jeunesse d'origine étrangère de France, ce nombre est infinitésimal. » Elle indique aussi : « Même si, en cas d'émeute, les réflexes de solidarité de voisinage entraînent dans le mouvement quelques jeunes ordinairement plus discrets, les fauteurs de troubles sont peu appréciés, notamment des adultes, y compris au sein de leur propre groupe ethnique, parce qu'ils créent des nuisances sonores et dégradent l'environnement, parce qu'ils engendrent un sentiment d'insécurité par leurs attitudes provocatrices et sont incontrôlables. »
Elle saisit aussi très rapidement le caractère plus territorial qu'ethnique de la solidarité entre ces jeunes (elle cite notamment le concept d'Adil Jazouli de « nationalisme de quartier »).
Confrontée au fait que les habitants de certains quartiers expriment un sentiment d'insécurité alors même que les statistiques du ministère de l'intérieur ne leur attribuent qu'un faible taux de délinquance, elle est amenée à distinguer les incivilités, mais le terme lui paraît un peu faible, et les infractions, qui seules relèvent d'un traitement policier et judiciaire (quand elles sont déclarées).
« Une idée », dit-elle, « ressortait de toutes ces observations de terrain : celle d'une escalade à long terme. Comme si on commençait par occuper l'espace public naïvement, sans se rendre compte qu'on gêne ; puis, peu à peu, devant les attitudes de repli d'un voisinage intimidé ou les reproches de quelques victimes irascibles, on s'estime en droit de lutter pour imposer sa présence, empiéter sur les territoires communs apparemment abandonnés, puis sur les territoires privés, avant de perpétrer des actes délinquants et de déclarer une guerre ouverte aux diverses institutions, à mesure que l'on expérimente une certaine forme d'invulnérabilité grâce à sa minorité pénale et à l'inertie de l'entourage. Tant qu'elle ne rencontre pas d'obstacle, et c'est le cas dans une société individualiste où nul ne se sent plus le droit de faire un reproche à autrui, fût-il très jeune, la provocation avance de plus en plus loin. »
D'où l'idée d'une échelle pour mesurer cette escalade. Cette échelle présente huit degrés, décrits et commentés dans ce livre (je n'ai pas pu la retrouver sur Internet). Il ne s'agit pas d'une typologie, mais d'une échelle, dans la mesure où « les émeutes de degré 7 et 8 ne se produisent que dans des zones ayant déjà connu, auparavant, des incidents situés sur les degrés inférieurs de l'échelle. »
L'auteur précise que « le terme de "quartier" est souvent abusif : s'il est commode d'écrire qu'"un quartier se situe sur tel degré de la violence urbaine", le site n'est jamais affecté en totalité par les problèmes. Il ne s'agit toujours que d'une petite zone, généralement une cité, voire une rue, deux ou trois cages d'escalier, "territoire" de quelques désoeuvrés qui l'occupent de manière ostentatoire. » Et Lucienne Bui Trong signale l'effet de stigmatisation que cet abus de langage peut entraîner.
Fin 1993, la Section sera sollicitée aussi pour analyser les relations entre « business » et violences urbaines et distinguera six cas de figure que Lucienne Bui Trong elle-même hésite à qualifier de typologie ou d'échelle.
L'auteur revient ensuite sur « le rôle majeur des incivilités, du désordre, de la saleté, dans le développement du sentiment d'insécurité » et manifeste son approbation à l'instauration des contrats locaux de sécurité et au développement de la police de proximité. Elle écrit : « […] dans l'ensemble, ces violences ne sont jamais gratuites […] De manière générale, presque toutes les violences anti-institutionnelles peuvent être considérées comme des actes de révolte […] Quant aux jeunes responsables de ces violences, leur discours est invariable : ils mettent toujours en avant les rejets, qualifiés par eux de « racistes », dont ils pensent être victimes de la part de la société française […] Peut-on simplement balayer d'un revers de main les reproches qu'ils adressent à la société ? […] Ce phénomène doit servir de révélateur et, dans certains cas, aider les institutions à mieux répondre aux besoins de leurs usagers. Elles doivent savoir changer leurs relations avec le public, en particulier là où les hiatus culturels sont si profonds que les malentendus se multiplient et que les usagers se sentent ou se croient méprisés ou écrasés. »
Dans la première des trois annexes qui terminent le livre, l'auteur précise que tous les quartiers « en difficulté socio-économique » ne sont pas le théâtre de violences urbaines juvéniles. « Dans certains cas, notamment pour le "quart monde" de souche, chez lequel l'exclusion n'est pas envenimée par l'impression d'être délibérément rejeté sous la pression du "racisme", les difficultés se vivent plus sur le mode de l'autodépréciation et du fatalisme que sur celui de la récrimination. L'amertume, au lieu de se diriger de manière collective contre l'environnement, le voisinage, les biens d'autrui, l'autorité, la société tout entière, reste davantage enfermée en chacun, débouchant sur la dépression, et les conduites suicidaires (accidents de la route, alcoolisme, drogue, rixes après boire, fugues, clochardisation, errance, violences intra-familiales). »
Lucienne Bui Trong indique également : « On soulignera […] que le sentiment de rejet et les accusations lancinantes de racisme que ce dernier génère n'existent pas de manière uniforme au sein de toutes les populations d'origine étrangère: ici se fait réellement sentir l'influence des cultures d'origine. Certaines cultures transmettent aux jeunes une fierté de leurs origines qui les vaccine contre toute souffrance devant les regards de distanciation nés des différences raciales ou des contentieux historiques. D'autres, au contraire, entretiennent, chez ceux qui en sont dépositaires, l'idée qu'ils ont été victimes d'une injustice historique indélébile et qu'il faut entretenir la rancune, au nom de la fidélité aux ancêtres. »

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Posté: Ven 30 Jan 2015 11:29
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Bonjour l'ami,
Il est rassurant que la police, ou au moins les RG, sachent faire appel à ces personnes et à leurs compétences... et peut-être aussi les lire et les écouter...?
Il serait donc avéré que toute la masse pesante de notre désinformation n'est issue que de médias inexperts et/ou de mauvaise foi, et non des forces publiques.
Cela explique peut-être aussi, au moins en partie, le malaise au sein de la police (qui est effleuré très légèrement de temps à autre, dont justement actuellement) que doit engendrer l'injonction (politico-médiatique) d'obtempérer à l'encontre de ses convictions et de son expertise.
Cela me fait penser à une autre injonction similaire et totalement d'actualité exercée sur la police et la magistrature au sujet du soi-disant délit d'apologie du terrorisme.
Cf.
http://lmsi.net/Resister-a-l-injonction-de-la
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le_regent



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Posté: Ven 30 Jan 2015 22:27
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Les analyses de Lucienne Bui Trong étaient accueillies de manière différente selon les moments : « Certaines de mes notes furent commentées par le cabinet du directeur général ou par celui du ministre, certains mots soulignés, encadrés. Jean-Jacques Pascal – qui m'assura toujours de son soutien – m'appelait alors dans son bureau, pour me demander de "mettre un bémol" à mes propos, et de ne pas "avoir l'air de donner des conseils" ». Ceci dit, même dans une note déjà longue, je n'ai pas pu présenter toutes les nuances de sa pensée ; elle-même analyse en quoi le ton de ses premières notes était parfois dérangeant de la façon suivante : « […] comme je m'appuyais sur des informations souvent confidentielles, j'étais en décalage avec les descriptions plus édulcorées de la presse [elle parle de la presse du début des années 1990] et avec le discours contestataire des casseurs. Je donnais une vision plus sombre des jeunes en question et paraissais donc plus critique, "sécuritaire", ou encore "corporatiste" ».
Merci pour le lien avec le communiqué du Syndicat de la magistrature. Je partage leur inquiétude : une politique pénale ne devrait pas être subordonnée à un choix momentané de communication gouvernementale mais correspondre à des vues à long terme. En ce qui concerne Christiane Taubira, je m'interroge. Elle me semble la représentante du socialisme « classique » en matière pénale, qui conçoit prévention et répression comme s'excluant nécessairement l'une l'autre. Alors est-elle juste inconséquente (comme nous le sommes tous plus ou moins), tient-elle à son poste de ministre, ou accepte-t-elle d'être l'otage de Valls et de Hollande parce qu'elle veut absolument faire passer des réformes qui lui paraissent capitales ?
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