J'ai retrouvé d'emblée, dans ce récit, le ton si particulier qui m'avait marqué à la lecture de "Scintillation", du même auteur.
En quelques phrases, John Burnside nous happe et nous angoisse tout à la fois, en dotant son texte d'une atmosphère sourdement glauque et tragique, et en laissant transpirer, à travers ses pages, l'idée insidieuse d'un mystère terrible, d'un secret qu'il va peu à peu nous dévoiler, à condition que nous soyons capable de l'entendre -ou plutôt de le lire-, et de le supporter... :
"Nul ne pourrait dire que ce fut un choix de ma part de tuer les jumeaux, pas plus qu'une décision de les mettre au monde. Ces événements s'imposèrent l’un et l'autre comme une nécessité inéluctable, un des fils dont est tissée la toile de ce que l'on pourrait appeler le destin, faute d'un mot plus approprié... un fil que ni moi ni personne n'aurait pu ôter sans dénaturer le motif entier. En revanche je décidai de procéder aux laryngotomies, ne serait-ce que pour mettre un terme à leur chant continuel (si tant est qu'on puisse appeler cela un chant), ce hululement qui saturait mes journées et pénétrait mon sommeil par la moindre fissure de mes rêves."
Le narrateur remonte ensuite le temps, pour nous exposer les circonstances précédant l'acte inacceptable qu'il vient d'accomplir. Il le fait avec une froideur effrayante, égrène son récit avec un détachement clinique qui exhausse l'horreur des événements relatés.
Toute sa vie a quasiment été tournée vers un seul but : découvrir le langage originel de l'homme, et au-delà, le secret de l'essence de l'âme. Le besoin de cette quête s'est fait sentir précocement. Dès l'enfance, il s'est passionné pour la dissection, qu'il pratiquait sur de petits animaux (oiseaux ou rongeurs), espérant capter, en étudiant leurs cadavres frais, la nature intrinsèque de leur être, le souffle impalpable qui définit la vie.
D'autres avant lui ont tenté des expériences avec comme objectif de percer le mystère d'un langage qui serait inné, en privant des enfants, dès leur naissance, de toute forme de communication orale avec leurs semblables, voire en les privant de toute marque d'affection. Mais les résultats n'ont jamais été vraiment probants.
L'occasion, pour le narrateur, de mener sa propre expérience, se présente lorsqu'il recueille une jeune vagabonde sans famille ni attaches...
Le héros se considère comme un scientifique doué et méthodique, mais le lecteur comprend très vite que sa froide intelligence dissimule une forme de démence. Il semble n'éprouver aucun sentiment, et il lui est nécessaire de contrôler totalement ses relations avec autrui. Lorsqu'il évoque son enfance, c'est au travers des rapports singuliers qu'il entretenait avec sa mère, femme hautaine et tyrannique, qu'il décrit comme si elle avait été d'une essence supérieure.
Les raisonnements que cet individu malade déduit de sa morbide expérience, son comportement qui dénote une effarante insensibilité, ne peuvent laisser indifférent, et suscitent un questionnement quant au véritable sens des liens qui nous attachent aux autres, et aux mécanismes sociaux et psychologiques qui permettent aux individus de se construire.
John Burnside nous livre avec "La maison muette" un récit prenant, violent et très troublant, mais aussi un texte profondément poétique, qui vous noue les entrailles et résonne en vous longtemps encore après en avoir refermé la dernière page.
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