[Tribulations alpines. T. 1, Les trois mousquetons | Yann Picq]
« Le monde des débuts est toujours celui de l’innocence et de l’émerveillement. On devrait s’en tenir là. » Tout commence par une mésentente dans une paroi à escalader. Claude dirige la manœuvre mais son coéquipier Raph, néophyte, peine tant que l’épuisement l’accable. Claude maugrée mais doit se résoudre à passer la nuit sur une vire rocheuse, dans l’inconfort du froid et du vide avec son coéquipier d’infortune. Il n’en faut pas plus pour lier les deux hommes dans un rapport d’icône à idolâtre. Claude mène la danse et les randonnées. Raph s’exécute puis finit par entraîner une de ses relations estudiantines, Daniel qui a croisé un quatrième larron sur un parking, Gérald. Les quatre hommes à qui il manque un mousqueton pour sécuriser la cordée se lancent à l’assaut du Pic Bayle. Leur manque-t-il le panache ? Qu’importe le fiasco pourvu qu’il y ait l’ivresse ! L’enivrement des cimes arrive au bout de l’effort : « Respirer est comme boire à une coupe cristalline. Toute chose autour est apaisée, suspendue au fil immémorial d’un ordre inconnu et tranquille ; à sa place. Rien n’est à défaire, ni à entreprendre, juste à contempler. » Les quatre larrons en foirade ont scellé une amitié forgée par l’effort commun et dans une certaine mesure par le dépassement de soi. Plus tard, Gégé et Daniel se retrouvent pour une randonnée à ski mais la sortie devient le parcours du combattant : « Tu penses qu’on est à combien du bas ? – Une dizaine de chutes répond sobrement Gégé ». Finalement, ils atteignent le refuge de nuit mais la gardienne est experte en relations perverses. Le raid vire au fiasco, le gardien armé, jaloux, aux talons. L’épisode suivant narrant une course d’un 4 000 alpin transformée en Bérézina par une météorologie désastreuse est magnifié par la rencontre fugitive et inespérée avec le grand Walter Bonatti nimbé d’une élégance discrète.
Le roman de Yann Picq va devenir hilarant avec le triathlon des cimes. Le sens du burlesque est irrésistible avec un enchaînement impeccable de situations graduées dans le grotesque, le ridicule et l’humain. Il est rare de rire en lisant mais le chapitre est tel qu’il est encore plus drôle quand le texte est lu à voix haute une seconde fois. A partir de ce passage, l’auteur maîtrise son sujet qui pouvait sembler décousu, accumulant des sorties alpines pleines de plaisirs et de déconvenues. Le record de l’oncle de Raph, Giacomo, tient à la volonté indéfectible des quatre compagnons. Le vieil homme en sortira grandi et transfiguré, irradiant de son prestige les pensionnaires de sa maison de retraite. Le volume se clôt sur une expédition en terre communiste alors que le quarteron de Français se trouve bloqué à huit cents mètres du sommet par une tempête qui s’éternise. Une suite est prévue.
Les Tribulations alpines constituent une bonne découverte. Le style alerte, l’écriture soignée au service d’une histoire, les mots et les phrases s’adaptant aux situations, collant à la trivialité ou à l’élévation, la pensée habilement sertie au détour d’une dégringolade, tout contribue à amplifier le plaisir de la lecture. La cerise sur le gâteau consiste à mettre en exergue en tête de chapitre une phrase particulièrement bien sentie d’un autre auteur, par exemple : « En montagne, on élève son corps. Ce faisant, l’âme est bien obligée de suivre » [T. S. Harding – Echappées dans l’air rare]. Le second tome, « Corde à nœuds », est paru en novembre 2012.
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