[Rites d’automne : le périple d’un fauconnier à travers l’Ouest américain | Dan O'Brien]
Le faucon pèlerin a bien failli être rayé de l’azur et porté sur la liste béante des espèces éteintes du seul fait de la prédation humaine. Après guerre, le DDT répandu en masse sur les cultures tuait le faucon dans l’œuf puisque la coquille fragilisée par le pesticide était trop mince et se brisait avant l’éclosion de l’oisillon. Une poignée d’hommes luttait pour réintroduire l’espèce, la relâcher dans la nature mais tout restait à apprendre et à faire car rendre à son état sauvage un rapace né en captivité n’est pas dans l’ordre des choses. Dan O’Brien va s’y employer corps et âme. Après un lâcher catastrophique dans les montagnes de l’Ouest américain, trois jeunes pèlerins font les délices d’un aigle, O’Brien récupère la jeune femelle faucon pèlerin, Blue qu’il rebaptise Dolly. Il décide de tout tenter pour l’acclimater à sa future vie libre en suivant sa voie migratoire, du nord au sud des Etats-Unis, jusqu’au golfe du Mexique. D’abord accompagné par Erney, un ami fermier, Dan O’Brien se lance ensuite seul dans l’aventure métaphysique où l’osmose s’installe entre l’homme, ses chiens de chasse, le rapace et la nature. Le respect pour la vie sauvage n’empêche pas la chasse, le buffetage, le plumage et la décapitation des proies par le faucon. O’Brien lui-même tue des oiseaux et s’en délecte en les mangeant. Sarcelle, tadorne, tétras constituent des mets délicats. Ce côté chasseur esthète finit par irriter d’autant plus que l’homme compatit à la mort du gibier en toute connaissance de cause. Qu’il mange son rôti de tétras en silence ! Le récit d’apprentissage du fauconnier et de son rapace peut aussi paraître de temps à autre ennuyeux, faisant du surplace alors même que l’oiseau prend son essor. Pourtant, l’histoire dégage une étonnante intensité par instant. Les apartés de l’auteur sur l’histoire de l’Ouest sont captivantes car les réflexions suivent un parcours géographique chargé d’une histoire à peine écrite, en pointillé et elles réveillent des fantômes vibrant d’une humanité farouche, des Trappeurs libres tel John Colter au Sioux Oglala Crazy Horse. Enfin, sans emphase, Dan O’Brien montre la nature dans sa splendeur et son amenuisement. L’épisode de la jeune Californienne voulant faire bâtir dans une zone naturelle sensible tout en prétextant aimer la nature est édifiante et symptomatique d’une incapacité à vivre dans la beauté originelle du monde. La délicatesse des observations révèle un esprit d’une grande finesse d’analyse : « J’ai observé Dolly dans son plumage immature sombre, ses pattes d’un jaune virant au bleu, ses longs doigts fins, ses ongles d’ébène. A cet instant, elle a levé une patte pour se gratter le menton avec autant de délicatesse qu’une femme se frotterait le nez à une soirée mondaine. […] Elle s’est tournée vers moi et ses yeux noirs m’ont transpercé. Si les yeux sont le miroir de l’âme, celle du pèlerin est profonde et majestueuse. » Mine de rien, les dernières pages sont superbes de retenue, survolant les années avec une économie de moyen et un grand pouvoir d’évocation. L’épilogue et la postface sont brefs et sertis sous un sceau d’une belle dignité, d’une véritable humilité et d’une franche lucidité : « Nous passerons notre vie au centre du continent, entourés du mouvement de milliers d’oiseaux. Nous resterons à jamais blottis entre le vert et le brun de la terre et le bleu infini d’un ciel de prairie. »
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