Avec sa trilogie « Le sang du Capricorne », Bernard Mathieu nous emmène au Brésil, sur les traces de personnages aux destins douloureux...Chacun des volumes qui composent cette trilogie a pour titre le prénom de l’un de ses personnages principaux.
Le premier, « Zé », met en scène un jeune homme issu des bas quartiers de Sao Paulo, qui, grâce à l'attention que lui a prodiguée le capitaine Otelo, sort major de sa promotion de l'école de police. Sa première affectation l’amène à Brasilia, où il doit faire équipe avec le delegado Barreto, un homme rude et blasé, qui perçoit d’emblée le caractère atypique de sa nouvelle recrue. En effet, en plus d’être beau comme un ange, et d’être issu d'un milieu il est en principe impossible de s'échapper, Zé manifeste un sens de la droiture complètement décalé au sein d’une police violente et corrompue.
La première enquête du duo nouvellement formé a pour objet le meurtre d’une prostituée exerçant dans un bordel de la banlieue de Brasilia. Une enquête rapidement expédiée par le médecin légiste, qui attribue le décès à une overdose, alors que la victime a visiblement été torturée… Fidèle aux principes de justice et d’honnêteté que lui a inculqué son mentor, le capitaine Otelo, Zé n’a pas l’intention, en dépit des menaces à peine voilées du delegado Barreto, de laisser les meurtriers de la jeune femme impunis. Lors de l'interrogatoire qu'il mène sur les lieux, il fait la connaissance de Carmelita, la femme de ménage du lupanar. Cette femme solide et pragmatique, dotée d'un grand sens de l'honneur et âgée d’une trentaine d’années, élève seule ses trois enfants. Elle tombe sous le charme de ce jeune policier si beau et surtout si différent des brutes qui composent habituellement la gent masculine…
Avec "Otelo", nous suivons alternativement les routes chaotiques et désespérées de deux personnages, tous deux poursuivant un but qui peu à peu les ronge et les fait sombrer dans une sorte de folie.
Le delegado Barreto, suite à des circonstances que je ne préciserai pas sous peine de dévoiler la fin du premier opus, se retrouve avec un stock de 90 kilos d’or à écouler. C'est une véritable aubaine pour cet homme médiocre mais rusé, qui s'imagine déjà entouré de femmes dignes des modèles aperçus dans les magazines, et vivant dans un luxe auquel il n'avait même jamais oser rêver. Le problème, c'est de parvenir à transformer ces encombrants lingots obtenus de manière illicite, en espèces sonnantes et trébuchantes... Voilà pourquoi le delegado prend la route, laissant derrière lui son travail, sa famille, en deux mots, sa vie d'avant.
De son côté, le capitaine Otelo en a après Barreto, sur les traces duquel il se lance, avec comme objectif la mort de sa cible. De Brasilia aux frontières paraguayenne et chilienne, Bernard Mathieu nous fait traverser en compagnie de ses deux protagonistes tantôt une nature hostile, où la chaleur et les nuées de moustiques ne laissent aucun répit, tantôt des zones plus ou moins urbanisées, dont l'instinct de prédation de la faune humaine n'a rien à envier à celui des espèces des milieux sauvages. Au fur et à mesure de leurs quêtes respectives, nos deux héros, minés par leurs obsessions, leur passé, leurs regrets, subissent les effets de l'épuisement, et finissent par ne plus très bien cerner les motivations qui les font progresser.
Dans le troisième opus, enfin, nous retrouvons Carmelita, dont le prénom a donné son titre au roman. Accompagné de son fils aîné Emerson -16 ans- elle débarque à Rio de Janeiro. Loin des avenues ombragées, et des Cariocas bronzés et nonchalants que les images télévisuelles lui avaient fait imaginer, elle se retrouve dans la puanteur et la promiscuité, à vivre au milieu des excréments des favelas, dont certaines baraques à flanc de colline menacent à tout instant de dégringoler quelques centaines de mètres plus bas. Malgré son courage et sa persévérance, malgré les exigeants espoirs qu'elle nourrit pour Emerson, qu'elle souhaite instruit et honnête, elle ne sera pas de force à lutter contre le poids de la misère qui plombe la jeunesse de ces quartiers considéré comme "le premier cercle de l'enfer". Son fils, bouillonnant de sa libido insatiable d'adolescent, miné par le besoin d'argent, ne fera pas exception et tombera, comme les autres, dans les bras de la délinquance...
Dès les premières pages de la trilogie, le décor est planté : loin des images scintillantes du carnaval, des clichés footballistiques, nous plongeons dans le Brésil de la misère, au sein de quartiers dont les habitants sont condamnés à mourir jeunes, après une vie de galère, de violence, à tenter de gagner chaque jour de quoi manger et/ou nourrir leurs familles. Nous ne sommes pas en Inde, mais c’est bien une société de castes que décrit Bernard Mathieu. Accéder aux classes moyennes si l'on est issu des favelas est considéré comme un tabou, et les plus nantis, pourtant loin d'être exemplaires -certains seraient plutôt des modèles en matière de corruption et de perversion-, ne considèrent même pas les plus pauvres comme des êtres humains, préférant les expulser bien loin de leurs luxueuses résidences pour ne pas avoir sous les yeux le spectacle de leur indigence... Zé lui-même, parce qu'il est issu des basses couches de la population, subit une discrimination muette mais tangible de la part de ses collègues. Il est conscient que son statut de pauvre annihile toute valeur liée à sa personne et à son existence. Dès le départ, le lecteur devine que Brasilia, où les maîtres mots sont pouvoir et business, n'en fera qu'une bouchée, que sa naïveté et sa foi le rendent d'autant plus vulnérable dans un monde où la corruption et la cupidité semblent représenter les seules planches de salut, bien qu'elles occasionnent aussi la perte de certains...
Avec une écriture alliant puissance d'évocation et limpidité, Bernard Mathieu nous livre un récit à la fois sombre, sensuel et vénéneux. J'ai pour ma part préféré le premier volet de sa trilogie, que j'ai trouvé très efficace et maîtrisé. Le deuxième opus, prometteur dans la mesure où l'auteur s'attache à y dépeindre des personnages dont la psychologie devient plus complexe au fil du récit, comporte des longueurs qui ont parfois émoussé mon intérêt. J'ai trouvé par moments que "Carmelita" souffrait du même défaut, mais dans une moindre mesure. De plus, l'auteur plante son décor, dans ce dernier ouvrage du "Sang du Capricorne", avec un tel talent, qu'on lui pardonne aisément ce petit travers...
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