Une femme âgée aujourd’hui de soixante-quatorze ans parle de son activité montagnarde en France et à l’étranger où ses prouesses d’alpiniste chevronnée sont livrées en toute simplicité, sans jamais se hausser du col. Bien que l’écriture de l’autobiographie reste très scolaire dans sa rédaction, sans effet de style et de manche, une vérité nue apparaît au fil des mots et touche souvent le lecteur même totalement éloigné de la pratique de l’escalade et de l’alpinisme. L’histoire de l’alpinisme est mise sur le tapis, des grès d’escalade de Fontainebleau aux Dolomites, du Vercors aux Calanques marseillaises jusqu’aux grandes voies alpines. On sent toute la force du vécu et l’auteur ne tergiverse pas pour dire ses joies et ses malheurs sans jamais s’étendre car la dame de pic est pudique. Ainsi durant l’ascension de l’Eperon Croz aux Grandes Jorasses, quand son compagnon de cordée, Robert, dévisse, on sent sourdre une sueur d’angoisse sur notre front de lecteur transi. Simone dit : « Pendant un instant, j’ai cru m’évanouir de détresse lorsque j’ai réalisé la situation : mon compagnon était pendu quarante mètres au-dessous de moi, inanimé ; je ne le voyais pas. J’étais accroché à un minuscule relais, un pied à demi posé et l’autre tenant sur les pointes avant de mes crampons, au sommet d’une pente uniformément lisse, hérissée seulement de blocs inclinés sur le vide, incapables de coincer une corde mais bien faits pour disloquer des corps lancés dans ce toboggan. J’ai connu un bref soulagement lorsque Robert s’est mis à hurler de douleur. Il n’était pas mort ! Mais quand j’ai compris qu’il délirait, j’ai frôlé le désespoir absolu. […] nous étions rivés à cette horrible paroi. » Bigre ! Pourquoi se mettre dans de telles situations ? Selon la loi des probabilités, elles sont inévitables à ce niveau d’engagement. Simone Badier est toutefois une pionnière car l’escalade en est à ses balbutiements tant le matériel et la technique vont évoluer par la suite. Elle essuie les plâtres mais son enthousiasme l’hélitreuille. Insouciante, jouissant d’une force et d’une santé remarquables, elle attrape une pleurésie à trente-cinq ans, lorsqu’elle revient trempée à la suite « d’une course volée au mauvais temps à la faveur d’une brève éclaircie ». Pour elle, tout s’effondre. Quand enfin son poumon peut être vidé de l’eau qu’il contient, elle est devenue aussi faible qu’elle est maigre. Sa philosophie de la vie va pourtant lui permettre de refaire surface : « Un des secrets de mon existence a été de ne rien désirer qui ne fût possible. » Encore faut-il savoir ce qui est possible et connaître ses limites ! Cela est difficile sans justement tenter l’impossible. D’ailleurs elle précise en prélude : « Les seules contraintes auxquelles j’ai pu consentir sont celles que je me suis moi-même imposées car j’en maîtrisais les limites. » Ainsi Simone va-t-elle reprendre goût à la vie à travers des courses alpines prestigieuses et surtout elle va s’orienter vers les « hautes montagnes du monde », en Afrique, en Amérique et ailleurs.
Paru en 2008, le livre de souvenirs au format poche est en rupture de stock chez l’éditeur. Sous sa couverture rouge à rabat, ses trois cent trente trois pages sont agrémentées de photographies en noir et blanc prises sur le vif. Bien plus qu’un destin individuel déjà hors norme par la pratique extrême d’une discipline sportive en train de se construire, le témoignage de l’auteur montre aussi l’ancrage d’une femme humble, intelligente et déterminée dans le milieu de l’alpinisme autrefois presque exclusivement réservé aux hommes. « Ah ! Nous les connaissons, ces malheureuses dames de pic, chouettes solitaires qui hantent les refuges et les parois comme les hommes… étreignant les roches insensibles avec une ardeur d’amantes. » s’écrie Samivel en exergue du livre. Le sobre récit remet en place bien des idées reçues. Cette femme parle vrai et droit. Elle attire irrésistiblement l’attention et le respect. Elle dit encore : « Ma vie est ce que j’ai de plus précieux, elle n’est pas à vendre et j’accepte seulement de la risquer pour la transcender, pour la rendre plus belle, plus intense, plus exaltante. » Tout un programme auquel on peut adhérer pleinement, à mains nues et sans assurance aucune !

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